ELBAZ André

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André Elbaz, Peindre en faisant face au réel

Depuis des décennies, André Elbaz met dans son œuvre les réflexions que lui inspirent le monde qui l’entoure et ses folies meurtrières : création et destruction ne sont jamais très éloignées. Ancré dans son siècle, loin d’être isolé dans une tour d’ivoire, l’artiste vit dans un monde avec lequel il faut composer.

André Elbaz a peint des villes marocaines apaisées, calmes, aux tons pastels invitant au repos. Et puis il a peint l’horreur de la guerre, les massacres du Rwanda, l’Inquisition, les Cathares, Hiroshima, les camps.

Il a réalisé de très nombreux dessins, construits, équilibrés, et puis il les a déchirés, lacérés et enfermés dans des urnes.

Depuis Narbonne où il s’est installé après avoir vécu aux quatre coins de la planète, l’artiste revient sur ce parcours varié mais cohérent.

Au départ, il faut tout simplement préciser qu’André Elbaz n’est pas un peintre né, ni même un peintre par vocation. « Je n’ai commencé qu’à 21 ans. Avant cela, je ne savais ni dessiner, ni peindre ». L’homme était davantage attiré par le théâtre et c’est en fait en réalisant les affiches d’un des spectacles de sa troupe qu’il va bifurquer vers les arts plastiques. Au Maroc, sa terre natale, puis à Paris, puis dans un va-et-vient permanent entre ses deux pays.
Depuis, il n’a cessé de créer, en partant toujours d’un point central : une réflexion sur ce qui l’entoure, sur ce qui le touche. Cela peut être des choses liées à son histoire personnelle (les villes orientales) comme des choses qui le bouleversent en tant qu’être humain sensible aux capacités de destruction insoupçonnées de l’espèce.

« N’avoir pas vécu directement dans son propre corps la violence de l’Histoire n’empêche pas d’avoir une nécessité de l’exprimer, écrit-il dans l’un de ses livres. L’art est peut-être la seule chance de se confronter aux traumatismes de l’Histoire ; une chance d’apprendre à créer plutôt que de continuer à détruire ».
L’artiste vit dans un monde qu’il aimerait certainement voir tourner différemment, mais avec lequel il est obligé de composer. En 1994, il ne peut pas faire comme si le génocide du Rwanda n’avait pas eu lieu. Il peint le génocide, dans des toiles gigantesques.

Le 11 septembre 2001, André Elbaz est comme tout le monde anéanti par ce qui se passe. Mais il va le transposer dans son art qui prend alors un tournant. Il prend ses dessins, des dessins qu’il a réalisés depuis des années et commence à les détruire, les réduire en lambeaux avant d’enfermer ces lambeaux dans des urnes : « Ce n’est pas facile, ce n’est pas un jeu, c’est une œuvre que je prolonge à la suite de ce qui se passe dans le monde et dans le monde de l’art. Il y a une continuité avec d’autres de mes travaux».
Au total, 600 urnes remplies de ses propres dessins déchirées. Des bocaux transparents qui laissent deviner les lambeaux de ce qui fut un jour une œuvre construite, entière. Depuis 2001, l’artiste a ainsi détruit 1250 dessins. Déchirés, réduits en lambeaux, mais toujours présents, malgré tout. L’artiste a tenu à donner du sens à ces fragments qui sont disposés de manière étudiée, non aléatoire dans des récipients qu’il appelle « unes » mais qui ne sont au départ que de dérisoires boîtes à spaghettis…

Les 600 urnes ont été exposées à Madrid à l’automne 2013. Mais l’artiste continue ce travail, tout en le faisant évoluer. Dernièrement, il présentait à l’Institut du Monde arabe une lacération d’un autre style, faite à partir de pages de Madame Bovary. Des mots, des bribes de phrase, des noms qui apparaissent si on s’approche : c’est bien le texte de Flaubert qui est là, un des chefs d’œuvre de la littérature réduit en lambeaux lui aussi. Après s’en être pris à sa propre œuvre mise en pièce, il a abordé quelques-uns des textes du patrimoine littéraire qu’il aime. Don Quichotte ou les œuvres de Paul Celan ont connu le même sort que Madame Bovary. Jean-Hubert Martin, le commissaire de la grande exposition de l’Institut du Monde arabe sur le Maroc contemporain (octobre 2014-mars2015) a audacieusement choisi certaines de ces pièces comme « Madame Bovary à la lettre », ou « Qui a donc lacéré les robes d’Emma ? » pour représenter son œuvre.

André Elbaz travaille donc sur ce qui le touche. Cela peut donc être les grandes tragédies planétaires, mais cela peut aussi venir de son quotidien. C’est en ramassant des herbes folles dans la campagne qui l’entoure qu’il va ainsi en venir à créer des papiers, dans les années 80.
« Pendant vingt ans, explique l’artiste dans un des livres qui lui est consacré, j’avais tenté d’inscrire une mémoire de trace et d’encre, afin de dire à ma façon la violence du XXè siècle. Mais voilà, je ne voulais plus traiter ce thème avec les mêmes supports. Je sentais une nécessité de trouver d’autres matériaux et d’autres signes pour dire autrement l’impossible auquel je m’étais confronté pendant plusieurs années ». (in « L’œuvre exécutée »)

« Je vais ramasser des herbes, et je les teinte, je les cuis ». Les fibres se mélangent. Aux herbes folles, aux tiges de lin qu’il peut ramasser un peu partout, l’artiste rajoute du sisal, de l’abaca, avant de les teindre et de les assembler. L’ensemble a un côté un peu expérimental, mais l’artiste sait parfaitement où il va : les couleurs restent nettes, des silhouettes apparaissent, qui sont littéralement DANS le papier. Et l’artiste est rattrapé par son implication au monde : peu à peu sortent des fibres végétales des œuvres baptisées Arbres de la liberté, mais aussi les Otages, Oradour, les Blessures narcissiques…

André Elbaz réunit, dans ses papiers, la façon dont il perçoit le monde à partir des moyens que lui offre son environnement immédiat. Une terre à la fois nourricière et destructrice. Comme toujours.
Anne Devailly

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BIO
Né en 1934 à El Jadida (Maroc)
S’intéresse d’abord au théâtre. Dirige une troupe pour laquelle il va réaliser des affiches. Bifurcation vers les arts graphiques et la peinture.
Beaux-Arts à Paris à la fin des années 50.
A partir de là, vit, enseigne et peint dans ses deux pays, le Maroc et la France.

André Elbaz a réuni ses deux passions, théâtre et dessin, dans la création d’une nouvelle approche thérapeutique, le pictodrame. Pendant vingt ans, l’artiste se fera art-thérapeute e enseignera cette pratique en université, à Paris et Toulouse.
A mis au point une méthode qui a déjà donné lieu à deux thèses de doctorat, une en psychiatrie, une en sciences de l’éducation.

11100 Narbonne
Galerie d'art de l'artiste

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