Marseille, Toulouse, Perpignan
Nicolas Daubanes
Les expressions de l’enfermement
Si quelqu’un ne s’est pas trop laissé surprendre par le confinement et ses éventuels impacts psychologiques, c’est sans doute Nicolas Daubanes. Car depuis douze ans maintenant, l’artiste creuse les thèmes de l’enfermement, un enfermement vu sous un angle beaucoup plus contraint que le petit confinement lié au coronavirus.
Vu sous cet angle plus large de l’enfermement, le confinement relève finalement d’un épisode logique dans le parcours de l’artiste : « Cela n’a rien changé dans mon travail. En revanche, cette expérience m’a juste confirmé dans la pertinence des thèmes que je creuse, l’enfermement.
Les vraies personnes qu’il aurait fallu interroger pour savoir comment faire face au confinement, les vrais spécialistes de la question, ce sont les prisonniers, qui gèrent cela depuis la nuit des temps. C’est le point central de mon travail ».
Nicolas Daubanes aborde ce thème pour la première fois en 2008, en menant une expérience en milieu carcéral au sein de l’établissement pénitentiaire pour mineurs de Lavaur, dans le Tarn. Depuis lors, il continue à creuser ce thème de l’enfermement, tout en élargissant son approche: “Au fur et à mesure que je m’intéresse aux questions de l’enfermement, j’essaie d’élargir aussi par le biais intellectuel: carcéral, révolte, évasion. La façon qu’on a de traiter les gens en prison est aussi un symptôme de la façon dont on les traite
à l’hôpital, à l’école, à l’usine, etc”, expliquait l’artiste lors d’une de ses expositions à Montpellier, à la galerie Alma.
En clair, comment dans des lieux de privation de liberté (prison, mais également, centre de détention, hôpitaux psychiatriques, etc), les êtres trouvent des stratégies pour vivre malgré tout, voire pour survivre.
“Aujourd’hui, mon travail prend une certaine tournure d’écriture, où je mélange des éléments historiques aux éléments actuels. Il me semble que j’arrive à une écriture de plus en plus personnelle en y mêlant des moments historiques, comme la Commune par exemple”.
A la décrire ainsi, l’approche pourrait donc être très cérébrale, à la manière d’un sociologue qui creuserait à l’infini ses analyses sur un sujet donné. Ce n’est pas le cas de Nicolas Daubanes, qui choisit certes de creuser un thème, mais par une approche plasticienne, en réfléchissant à chaque fois à partir de matériaux qui pourraient l’aider à exprimer ces univers auxquels sont confrontés les gens qui vivent dans des situations de contrainte forte.
Il a par exemple exposé plusieurs fois des dessins très réalistes d’architectures de prison, réalisés à la poudre d’acier aimantée, dessins très précis mais instables. La prison, le temps, l’usure du temps. Devant ce type d’oeuvre, pas besoin de lire le cartel, la sensation est évidente.
C’est sans doute différent pour la série Sabotage : à plusieurs reprises, l’artiste a réalisé des escaliers en colimaçon à partir de béton-sucre, revendiquant à la fois une approche exigeante pour le spectateur (le sens de l’oeuvre ne se comprend qu’en lisant le cartel) et une approche qui nécessite de revenir sur ces constructions dans la durée: “C’est une matière que j’utilise sous plusieurs angles. Ce sont des matériaux inédits aujourd’hui, des matériaux que j’ai redécouvert mais qui nécessitent de pouvoir les explorer dans le temps, sur une durée longue. Solides et durs en apparence, ces
escaliers sont en fait abîmés par le béton sucré qui est introduit au moment du coulage, sucre introduit par les résistants pendant la guerre pour fragiliser volontairement le béton.
Je fais d’abord un coffrage, et de ce coffrage naît un escalier, en fait déjà malade sans que cela ne se voit, comme un corps fragilisé de l’intérieur. Ces escaliers en béton, qui forment la série Sabotage, c’est une façon de parler de la fragilité de la vie”.
L’artiste a réalisé un de ses premiers escaliers faussement durs comme du béton, au moment où lui-même connaissait de graves problèmes de santé et s’interrogeait sur la fragilité de son organisme.
De l’enfermement à la révolte, il n’y a finalement qu’un pas. C’est en Haute-Garonne que l’artiste le franchira, à l’occasion d’une résidence dans une briqueterie, la briqueterie artisanale de Nagen, en Haute-Garonne, dans le cadre d’un projet de résidence lancé par la Drac, et Collective Pulse, un cabinet de conseil en management toulousain.
Nicolas Daubanes accepte, car il imagine au départ que ce sera l’occasion pour lui de renouer un milieu ouvrier, celui de ses parents, un désir qu’il avait depuis longtemps.
Mais au-delà de ce contact recherché avec les ouvriers, il va mener un travail sur la révolte: la brique, c’est le matériau avec lequel on construit, c’est aussi le matériau qu’on jette dans les manifestations. Il conçoit donc un projet dont les seuls réalisateurs ne pouvaient
être que les ouvriers eux-mêmes : faire des briques que les ouvriers marquent dans la terre encore modulable, de leur empreinte de main, pour en faire un matériau idéal pour être lancé. Faire avec ces briques un mur, pas fait pour soutenir une maison, mais
idéal pour pouvoir prendre les briques facilement les unes après les autres. Ainsi est né Ergonomie de la révolte, 2018.
On pourrait encore évoquer son travail exposé à Montpellier en septembre 2019, pour montrer la variété des approches de l’artiste, autour d’un thème central. Au Moco, il expose “La vie quotidienne, 2019”: une oeuvre faite de plaques de verre qui tiennent au mur par du papier collant noir, qui forment des « x » qui de loin, prennent évidemment l’apparence d’un grillage. Pendant la seconde guerre mondiale, et pendant les cyclones encore aujourd’hui, c’est la façon la plus simplle pour essayer de protéger les verres et, si jamais
le verre se brise quand même, de maintenir les débris au sol, en évitant les projections sur d’éventuels passants.
Sur certaines de ces vitres, l’artiste a fait ce que faisaient les commerçants pendant la guerre: se servir de ses vitres comme espace d’expression: dessins, petits signes, etc, sans logique apparente.
Voilà comment on reconnaît un dragon chinois qui vient s’entrecroiser avec un portrait d’un moustachu, le Capitaine Dreyfus.. Lentement mais sûrement, le papier collant perd de son pouvoir, et les verres tombent, de manière aléatoire, se brisant sur le sol, avec des “bling” plutôt discrets mais qui poursuivent le spectateur dans l’ensemble des salles de l’exposition.
L’oeuvre évoque selon l’artiste Alfred Dreyfus qui dessinait sur l’île du Diable pour ne pas devenir complètement fou, en plus d’évoquer le quotidien des commerçants pendant la seconde guerre mondiale.
Le travail de Nicolas Daubanes est donc un travail conceptuel au départ – ce n’est ni le medium, ni la tenue du crayon ou du pinceau qui définit son travail- mais un travail qui s’incarne de manière rigoureuse dans des solutions plastiques en lien avec le sujet.
BIO
Né en 1983, vit à Marseille.
Beaux-Arts Perpignan, diplômé en 2010 (fermeture en 2016)
Lauréat du Prix des amis du musée de Tokyo, 2018. Lui permet d’être exposé au Palais de Tokyo en 2020. Expo qui sera arrêtée trois semaines après son lancement en raison du confinement, mais prolongée ensuite en septembre.
Pour l’artiste, c’est clairement “tout le travail qui a été fait dans le Sud avec des centres d’art, la maison Salvan, La Chapelle Saint Jacques, le Lait, Lieu commun, et toutes les autres, qui m’a permis de gagner en visibilité, notamment auprès des Amis du Palais de Tokyo”.
Projet: Fin 2020, une résidence avec l’association Pollen pour faire avancer mon travail.
Je vais travailler avec des photogrammes.
Résidence dans le Lot-et-Garonne, à Montflanquin.
Exposition en Bretagne fin 2020, à Vern-sur-Sèche : « A domicile comme à l’extérieur ».
VERBATIM
Travail de la matière, travail cérébral?
“La complexité à comprendre mon travail? Je suis très à l’aise là dessus. J’attends que le spectateur fasse sa part du travail. S’il veut comprendre, et je pense que c’est mieux ainsi, il faut que le spectateur lise ou analyse un peu le travail présenté. Mais s’il n’a pas
les clés, l’objet existe néanmoins ». De fait, l’escalier en colimaçon posé à l’horizontal peut susciter une perplexité, et c’est cette perplexité qui peut aussi emmener plus loin.
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