Auteur humaniste, peintre humaniste, photographe humaniste.
Michel Berberian est né à Alexandrie (Egypte) en 1949 dans une famille d’artistes. Lorsqu’il a dix ans, ses parents ouvrent une galerie d’art à Paris. Ainsi il devient naturellement l’élève de Gen Paul, grand peintre montmartrois jusqu’à la mort de ce dernier en 1974. A la fin de ses études, après un long séjour aux Etats-Unis, il crée son propre studio de design. Il travaille alors comme affichiste pour le théâtre, puis pour le cinéma, pour les plus grands : Jean-Luc Godard, Carlos Sauras, Bertrand Tavernier, Éric Rohmer, James Ivory, etc.. Il exerça ainsi la fonction de directeur de création en agence de publicité durant plus de vingt ans.
Dans son œuvre peinte, Michel Berberian développe une réflexion qu’il nomme “les intervalles irréguliers”. Ses thèmes les plus fréquents : “l’Homme en colère”, “l’Homme courant”, “Tâche de bien faire” et « Wall »sont autant de façons d’exprimer une souffrance particulière, celle de l’aliénation que nous subissons tous actuellement, une aliénation qui, contrairement aux dictatures, est moins à l’extérieur qu’à l’intérieur de nous.
Michel Berberian vit et travaille près d’Uzès dans le Gard.
…
Si ce n’est le sujet principal, l’art est toujours au cœur de mon écriture. Voici un extrait issu de mon dernier roman « Apesanteur » où le héros, Enki, publicitaire désenchanté, tente de démêler quelle est véritablement la différence entre le travail de commande, fut-il créatif, et le travail de d’artiste.
“Ça roulait comme une merde. Je poussai le CD dans la fente et je sautai les pistes jusqu’à la cinq. Je l’adorais celle-là. Ce facho de Jean-Marie Le Pen avait pris place sur le banc radiophonique des accusés. Je poussai le volume. J’enclenchai la première, la Saab fit un bon en avant.
Rue de Rivoli, c’était pire que tout. Et le taxi Mercedes devant moi semblait prendre un malin plaisir à attendre que la voiture devant lui soit à trente mètres avant d’avancer. Il progressait par saccades. Il pensait sans doute économiser son gasoil, ce con. Ça n’avançait pas.
Je maugréais crispé sur mon volant : « À quoi ça sert tout ça ? Qui peut le dire ? Tout le monde est là, à piétiner. Devant, derrière, à droite, à gauche. Et tu perds ton temps. Pire, tu perds ta vie. La vie c’est pas ça. La vie, c’est le grand air, la liberté de se rouler dans l’herbe à poil au soleil. Le farniente, l’amour… Toutes ces images stéréotypées, je ne sais pas. Je n’ai jamais essayé la vraie liberté. Mais ça doit exister quelque part tout de même. J’ai déjà vu ces photographies de champs de blé à perte de vue, les cinéastes en ont fait des films. Ils tirent ça d’où ? Ils l’ont bien pris quelque part… Est-ce que ça existe vraiment ? Qui le sait ? Ton temps passe, mon vieux. Laisse tout ça et barre toi. Ça ne va nulle part cette file de bagnoles. De la tôle emboutie en forme de carcasses. Mais t’es pas cap’. Tout larguer et partir. Faire le tour du monde. En bateau, en stop, en fusée, en je ne sais quoi. Partir. Tout le monde en rêve, personne ne le fait. Et toi le premier, Enki. Tu t’es trop attaché des trucs aux chevilles. Des boulets. Des assurances, des engagements, ton petit confort, ta petite sécurité.
Voilà où tu en es maintenant : ficelé comme un rôti de dindonneau. Prêt à passer au four. T’as mis le doigt dans le mauvais engrenage, mon pote. Tu as choisi le mauvais sentier. Tu as pris le plus facile. Ça tombait tout seul. Une petite sieste et l’image t’apparaissait au plafond. Comme la Sainte-Vierge à Bernadette Soubirous. Trop facile ! Tu n’avais rien d’autre à faire. Tu t’es laissé embarquer, Enki. Il fallait que tu choisisses l’autre voie, celle de l’artiste. La liberté. La liberté de créer. Pas un client sur le dos. Pas une pub à rendre pour le lendemain matin à dix heures. Pas une nouvelle idée à trouver parce que celle-là ne convient pas tout à fait au client. Pas un commanditaire pour te dire : « Il y a un petit truc qui me gêne… Je ne sais pas quoi… Je ne sais pas vraiment… Mais c’est pas encore tout à fait ça… », ou bien : « Et ne mets surtout pas de bleu, tu sais que je ne suis pas un fan du bleu, c’est trop banal, trop calme, le bleu. Trop conventionnel… Ça ne vend rien le bleu… » Ou encore : « Et pourquoi t’as mis tout ce vert ? Tu le sais pourtant, que le vert ça porte malheur sur une affiche ». La page blanche…
Une page blanche… Une pelure libre, lisse à perte de vue, qui n’attend rien d’autre que tu y poses ton crayon. Une page blanche rien qu’à toi. Et tu vas en faire quoi ? Ah ! Mais ce n’est pas si simple. En dehors même du fait que l’artiste ne mange pas tous les jours à sa faim. Ça c’est l’argument facile. Celui-là, je te le laisse. Etre artiste c’est plus dur que d’avoir une petite idée et de la mettre en scène. Certes, tu le fais parfaitement avec le talent que tu as. Ça, je ne dis pas. Tu as du talent, Enki. C’est sûr. Tu as un potentiel énorme. Mais tu en fais quoi, au juste ? Tu bouffes avec et c’est tout. Ça, pour bouffer, tu bouffes ! Tu te sapes chez Kenzo et tu roules en Saab 900 Cabriolet.
A part ça ? Tu te tapes tous ces cons à longueur de rendez-vous après avoir respiré la pollution dans les embouteillages. Tu espères qu’ils vont te l’acheter ta campagne. Tu leur vends ta petite idée fastoche. Ils te tendent un billet. Un gros billet. Tu prends le pognon. Et tu rentres chez toi pour mettre les pieds sur la table. Et quand tu ne déjeunes pas Chez Madame Labrosse, tu vas de restos branchés en tables de grands chefs. L’artiste, lui, il ne se contente pas que ça plaise aux autres. L’artiste, son succès ne se mesure pas à la remontée des ventes des pesticides ou au nombre de rendez-vous dans son agenda. L’artiste, il creuse. Il ne s’arrête pas là où toi tu refermes le Chromolux sur ta maquette. Il creuse. Et c’est ça qui te fait peur, Enki. Parce que quand tu as fait tout ça : Ta belle petite maquette bien présentable et ton show, bien huilé, en salle de réunion, t’as donné quoi de ta personne ? Presque rien ! La croûte, l’épiderme, la surface ! Tu n’es pas allé au fond de la tuyauterie. Tu n’as pas raclé les boyaux de l’intérieur, tu n’as rien dit de ta douleur, de ton petit malheur. Tu as la trouille, Enki. Tu n’as rien dit de toi qui pourrait aider les autres. Aider à faire progresser, un tant soit peu, une réflexion sur le genre humain. Un petit truc juste pour pousser un peu les pions. Voilà la différence, Enki.
Ça n’avançait toujours pas.”
Sites web :
Peintures : www.berberian.fr
Photographies : www.berberianphoto.com
Romans: (https://www.opengalerie.com/lectures.html#/)
Barranca (2017)
Apesanteur (2021)
Livres de photographies : (https://www.blurb.fr/user/yapacsa)
« Last tango » (2021), « Issue de secours » (2021) et « One Way USA » (2020)
Livre de Peintures : (https://www.opengalerie.com/store/c9/LIBRAIRIE.html#/ )
Michel Berberian, les peintures (2012)
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