Explorer les relations, les emboitements, les agencements. Donner à voir, s’ancrer dans le réel, pour faire sentir, toucher le vivant. Par la matière, polyphonie. Matière-lumière, matières picturales.
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Article paru dans le volume Artistes Occitanie, les 30 artistes 2024
Toulouse (31)
Mathilde du Mesnildot
Faire apparaître le vivant, en toute transparence
Mathilde du Mesnildot a plusieurs cordes à son arc: maître verrier, elle travaille aussi bien le verre, que le dessin, la gravure et la peinture. Mais si elle passe d’une technique à l’autre, sa démarche trouve sa cohérence par l’importance donnée à la lumière et à la transparence, fil conducteur de tous ses travaux. Dans l’abstrait d’un vitrail comme dans l’intensité des rapports humains rendus au fusain ou à l’huile.
Mathilde du Mesnildot est maître verrier. Commençons par ce métier qui montre bien le socle de l’ensemble de son travail: quiconque travaille le verre travaille sur la lumière, la transparence. Son geste a la précision technique du maître verrier, ce qu’elle est devenue dans ses années parisiennes.
C’est le cas par exemple des vitraux que l’artiste a réalisés par thermoformage pour la Chapelle Saint-Gilles, dans le Cotentin. Des vitraux fait pour capter la lumière, la faire rentrer dans la chapelle, mais transfigurée par les bouts de verre posés et soudés entre eux par l’artiste: “À l’est, des frises d’êtres humains, cloisonnés, en périphérie // À l’ouest, des êtres confondus, formant une structure pyramidale, au centre. Trois vitraux avec trois logiques, descendante, circulaire, ascendante, matérialisées par la circulation des regards et des ombres propres // À l’est, le monde tangible. À l’ouest, une éventualité, une perspective”.
C’est également le sens du travail qu’elle avait proposé dans le cadre du 1% artistique qu’elle a remporté pour la maison des services de Lusignan (Vienne) en 2016: Mues, une tour cinétique, “une tour de vitrail qui traverse le hall de part en part, comme les légendes traversent le temps. Une tour qui évoque Mélusine, fée bâtisseuse. Une tour construite sur la présence et l’absence, qui cache et donne à voir (…) Une tour de transparence qui recèle des secrets. Une tour qui laisse transparaître une forme serpentine. Une tour cinétique qui multiplie les points de vue”.
Le verre est aussi le matériau qui fait la liaison entre son travail de maître verrier et son travail de peintre, graveur, dessinateur, bref son travail sur papier, toile ou bois.
Car dans ce travail figurent en bonne place des monotypes sur verre. Là encore l’artiste joue sur la transparence de ce matériau, mais d’une autre manière: “Entre état liquide et solide, le verre possède une structure moléculaire instable, secret de sa transparence. En mouvement permanent bien qu’imperceptible à notre oeil, il se meut dans son propre volume. Pour lui donner forme, je crée des ‘moules mouvants’ éphémères qui laissent au verre une respiration, un répondant à sa fluidité…”. En d’autres termes, l’encre peut glisser sur le verre, laissant apparaître, de manière plus ou moins contrôlée des zones complètement vides et blanches.
Un pas de côté de plus, et l’artiste passe des monotypes sur verre au travail du fusain. Cette fois-ci, le verre n’est plus présent mais l’artiste a gardé de son cheminement avec ce matériau un sens des contrastes et de la transparence.
Au fusain, elle peut obtenir des noirs très profonds qui esquissent un corps, mais laissent une grande partie de la feuille blanche et vierge, le corps semblant alors jaillir de la lumière. Autre sujet, autre effet recherché, mais même importance accordée à la lumière et la transparence: quand elle choisit de représenter la fragilité d’un oisillon dans son nid, la petite créature n’existe guère que par les deux lignes blanches, très fines mais visibles dans le noir: son petit bec, vital, qui attend ce que l’adulte veut bien lui rapporter.
A chaque fois, le travail de l’artiste est guidé par cette volonté de faire apparaître les choses. Pas besoin de s’attarder sur le contexte, il faut se concentrer sur l’essentiel et voir comment l’extraire du néant.
Même chose en peinture: ces toiles de belle dimension où l’artiste se concentre sur des sujets parfois très variés, sont tous traités dans des cadrages assez serrés: quand il s’agit de la série Le lien du silence, sur la mère et l’enfant, l’artiste propose deux visages, et quelques éléments corporels, rien de plus. Quand il s’agit de la série de fusains intitulée Végétalité, on reconnaît des feuillages, des racines, des impressions de souches, mais rien d’autre qui viendrait préciser les choses. Quant à Multitudes, ce sont des mains et des esquisses de visages qui suggèrent que les personnages sont là en nombre, mais ce n’est pas une foule précisément représentée. Principe repris dans la série “Toucher le vivant”: les corps sont ébauchés, les mains sont en mouvement, mais la seule chose qui soit vraiment précise, c’est l’emprise de la main sur la chair. Comme une vraie gageure pour une peintre: représenter le toucher plus que le visuel, représenter le toucher par le visuel.
Le point commun de toutes ces toiles se trouve là encore dans une technique qui est dans la continuité de ses autres travaux: ici, pas de matériau translucide comme le verre. Il n’empêche: “On peut travailler les pigments à l’huile dans leur épaisseur, mais cette épaisseur peut être mate ou transparente. L’huile permet ces distingos, et cela compte beaucoup dans mon travail”.
Mathilde de Mesnildot travaille d’abord à la tempera (la première approche), avant de poursuivre à l’huile. “La tempera apporte une matité dans le fond, mais cela permet aussi de régler les problèmes d’absorption des pigments. Et ensuite je travaille en alternant fusain et pigments à l’huile”.
Ce qui veut dire que ce qui prime là encore, c’est de préparer la toile pour que les pigments puissent être plus ou moins mats ou transparents. Le dessin, le motif, ne viennent qu’après. Ce qui compte, c’est bien la matière, la densité, la force que les pigments, les poudres, le gras d’un crayon peuvent donner au motif. Tel est la force du métier de peintre.
Anne Devailly
Bio
Mathilde du Mesnildot a grandi en Haute-Savoie avant de poursuivre des études à Paris, où elle est notamment devenue maître verrier.
Elle vit depuis 2011 à Toulouse, se consacre à son art et donne des cours notamment à l’Espace Eclair, atelier collaboratif dont elle est membre.
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