Anaïs EYCHENNE

Anaïs EYCHENNE
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Cet article a été publié dans l’ouvrage Artistes Occitanie, Les 30 artistes 2023, paru en novembre 2022.
Quatrième volume de notre collection.

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SAINT SEVER DU MOUSTIER (AVEYRON)
Anaïs EYCHENNE
La symbiose entre l’art et les mathématiques

Equipée d’un anorak épais, assise devant une petite table posée dans l’herbe, Anaïs Eychenne trempe son kalam dans un produit spécifique, l’acétate de fer, dans une bassine posée simplement sur la terre. Elle trace quelques traits sur sa feuille et commence un nouveau “Kalamkari”.
Comme son nom le laisse supposer, le kalamkari se dessine au kalam, une pointe de bambou taillée qui permet des traits précis, mais qu’il faut sans cesse retremper dans l’encre, car, contrairement aux pinceaux de calligraphie chinois, le bambou taillé ne per- met pas de réserve de pigment.
On imagine donc aisément le travail nécessaire pour réaliser les kalamkari regorgeant de détails sur des toiles faisant souvent plus d’un mètre de large. L’artiste passe parfois plus de six mois sur une oeuvre.
Mais cela ne lui pose aucun problème. Car Anaïs Eychenne a cette capacité singulière de pouvoir travailler toujours dans le détail, sans pour autant perdre la vision d’ensemble. Son travail peut faire penser à l’Alhambra de Grenade : de loin, des volumes simples et identifiables, qui donne l’harmonie générale, de près une foison de détails qui apporte cette fois-ci une créativité sans limite.
Pour parvenir à ses fins, l’artiste allie des savoir-faire ancestraux : elle utilise des toiles imprégnées de lait de bufflonne, qu’elle va chercher chez les indiens de l’Andhra Pradesh, sur la côté ouest du sous-continent indien. Les Indiens lui en fournissent volontiers, eux qui ont fait de cette artiste un maître français du Kalamkari.
Ensuite, l’artiste prend la tangente. Comme les Kalamkaris traditionnels, les toiles d’Anaïs Eychenne sont chargées de très nombreux motifs, mais la jeune Française part sur des constructions qui révèlent sa passion pour les mathématiques, la physique, l’espace.
Car le profil de la jeune artiste est particulier. Anaïs Eychenne est atteinte depuis sa naissance de trouble du spectre autistique (TSA). Une singularité qui lui a compliqué la vie sur de nombreux plans – santé physique, interactions sociales, etc- mais qui lui permet d’avoir quelques compétences hors normes, notamment en matière scientifique.
Depuis l’âge de 9 ans, et sa découverte du satellite Hipparcos, la jeune fille se passionne pour les disciplines scientifiques, mais également tout ce qui est au- dessus d’elle: l’espace, mais plus simplement et plus proche, le monde des oiseaux.
Quelques années plus tard, son professeur de mathématiques de quatrième observe chez elle des aptitudes exceptionnelles dans sa discipline.
Aujourd’hui, l’artiste a réuni ses deux passions, et mieux encore, a trouvé la confiance et la stabilité depuis qu’elle vit à Saint-Sever-du-Moustier, grâce à l’entregent de son galeriste, Pol Lemetais.
C’est lui qui l’a exposé en premier, et c’est aussi lui qui l’a mise en contact avec des scientifiques avec qui elle a pu échanger.
C’est ensuite la population du village qui a réussi à l’intégrer.
Aujourd’hui, cette aventure hors norme est l’objet d’un film qui à été tourné au printemps 2022 par une équipe d’étudiants du Lycée des Arènes de Toulouse, sous la direction de Philippe Teissier : on y voit Anaïs Eychenne travailler, mais surtout on l’entend parler elle-même de son parcours atypique, et du bien-être qu’elle a trouvé auprès des habitants du village.
Accompagné du mathématicien Jean-Pierre Marco, enseignant-chercheur à Sorbonne Université et à l’Observatoire de Paris, elle analyse elle-même le kalamkari de plus d’un mètre de long accroché au mur, composé de quatre parties rectangulaires qui encadrent un grand cercle central : “ Dans l’univers, il n’y a que quatre forces pour expliquer une infinité de phénomènes : la gravité, la force nucléaire faible, la force nucléaire forte et l’électromagnétisme. Dans cette oeuvre, chacune d’entre elles est au centre d’un des carrés. (…) Et dans le cercle central, un énorme nœud : faut-il le trancher ou est-il possible de le démêler ??? ”.
Voilà comment, en quelques phrases accessibles, l’artiste aborde ce dessin foisonnant, peuplé de planètes, d’oiseaux, et de motifs abstraits qui remplissent le moindre centimètre carré de la toile.
Dans une autre, l’oeuvre montre des oiseaux enfermés dans des cercles, et d’autres libres, qui s’envolent par centaines, occupant tout l’espace entre un champ de blé et des sphères qui emplissent la partie haute du ciel. Devant le champ de blé, une femme qui dort, sous le regard protecteur d’un félin. L’artiste elle-même? Recroquevillée, infime partie d’un monde dont elle se protège mais qu’elle est tout de même en mesure de représenter.
Aujourd’hui, les deux scientifiques qui l’accompagnent s’intéressent non seulement à son art mais également à ses théories scientifiques: “ C’est en contemplant une photographie du satellite artificiel Hipparcos qu’elle entrevoit pour la première fois une solution lui per- mettant de se positionner et de se mouvoir dans l’espace de manière autonome et cohérente, explique Jean-Pierre Marco. Il s’ensuit la lente élaboration – encore en cours aujourd’hui – d’un système de calcul complexe visant à organiser et interpréter les données incomplètes que lui livrent ses sens. Elle découvre en parallèle les beautés et les dangers de la physique nucléaire et développe une relation étroite avec le monde des oiseaux, ainsi qu’une étonnante virtuosité dans la représentation picturale du monde et des phénomènes physiques ”.

Mais une fois qu’elle a fini de travailler au kalam, une fois qu’elle a fini d’échanger avec les scientifiques, l’artiste rejoint les enfants du village, et, avec eux, regardent les oiseaux. Avec une simplicité que tous peuvent comprendre, elle conclut d’elle-même : “ J’espère rester encore longtemps à Saint-Sever, j’y ai trouvé ma place ”.

Anne Devailly

BIO
1984 : naissance dans le Lot.
1993 : se passionne pour la physique et les mathématiques
1999 : développe ses théories scientifiques, notamment pour des applications en auto-guérison.
2010 : découvre la technique indienne du Kalamkari (dessin)
2014 : première exposition personnelle au musée des arts buissonniers, à Saint- Sever du Moustier, où elle vit désormais.
Nombreuses expositions depuis, entre autres à la Halle Saint Pierre de Paris ou à l’Outsider Art Fair, de New York.

Rue de l'Église 12370 Saint Sever du Moustier
Galerie d'art de l'artiste

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