Cette présentation de l’artiste et de son travail ont été publiées dans le livre Artistes Occitanie: les 30 artistes 2022
Habib Hasnaoui
Mazamet (Tarn)
Ecartelé entre deux pays qui se tournent le dos
Habib Hasnaoui vit entre deux rives: la France,où il est né, a fait ses études et où il s’est maintenant installé. Et, dans l’intervalle, l’Algérie, dont sont originaires ses parents, où il a fait son service militaire et a décroché son premier emploi pendant les années de guerre civile. Son œuvre tente à la fois de rendre compte de ce drame et de dire l’impossibilité d’appartenir à deux terres à la fois.
Parfois, Habib Hasnaoui gratte et enlève, parfois il ajoute et superpose. Le plus et le moins, la destruction et la création.
Cette tension est particulièrement nette quand il se met en tête de peindre l’Essuf, ce campement de touaregs au milieu de nulle part. L’essuf signifie en tamasheq à la fois ‘vide’ , ‘solitude’, ‘nostalgie’ et renvoie à un lieu qui n’a pas de limitation, mais qui reste évoqué dès que l’on s’éloigne du campement. Pour parvenir à donner ce sentiment de plénitude du vide, le peintre ajoute couche après couche, là où pourtant il n’y a rien. Cela donne trois toiles abstraites, aux couleurs chaudes.
Un thème emblématique du travail de l’artiste, souvent dans un entre-deux lié à son parcours. Qu’il soit en France, qu’il soit en Algérie, Habib Hasnaoui est un éternel exilé, et sa peinture s’en ressent. D’abord dans les thèmes, avec ces nombreux ports, ces bateaux, précis ou esquissés, ces quais où l’on part et où l’on arrive, mais aussi ces installations qui évoquent des tragédies algériennes.
Dans son atelier, dès le départ, il sait dans quel sens son travail va partir, et choisit le matériau en fonction: “Quand j’utilise le placo, je gratte et j’enlève. Quand j’utilise la toile, j’ajoute et je superpose”.
Cette hésitation entre ces deux tendances, l’artiste en a besoin, s’en nourrit.
Aujourd’hui, l’artiste, apaisé, regarde les choses en face et a retrouvé son identité sur la toile. Il est Habib Hasnaoui, dans sa personne et dans son travail de peintre. Pendant des années, l’artiste ne souhaitait pas signer ses toiles de son nom, et signait d’un pseudo qui renforçait son ancrage dans une histoire de la peinture occidentale: Tapol, contraction de “Tapiès pour le travail de la matière et Pollock pour la force de la gestuelle”.
L’artiste a donc retrouvé son nom et élargit également son approche. Il renoue par exemple avec le travail de l’objet, comme il avait pu le faire avec le travail sur les moines de Tibhirine, un travail fait en France, vingt ans après les faits: “J’étais à Médéa quand ces 7 moines ont été assassinés”. L’artiste donne sa version de ce drame dans une oeuvre ‘simple et digne, occultant volontairement la violence et la barbarie du crime’ : sept sacs en chanvre, accrochés à sept cintres tous différents, comme pouvaient l’être ces sept moines. Ces cintres eux-mêmes suspendus à une corde qui finit au sol dans un sac de noeuds. Tout aussi frappant, cette valise faite de barbelés, qui désigne à la fois le désir de partir et son impossibilité.
Aujourd’hui, l’artiste peut travailler sur d’autres thèmes, en lien avec son quotidien, même si l’Afrique n’est jamais loin.
“Quand je travaillais encore dans une entreprise industrielle, j’ai eu la chance de pouvoir récupérer des flacons. Quand je les ai vus, je savais que j’allais pouvoir en faire quelque chose, mais j’ai attendu quatre ou cinq ans avant de trouver. C’est la pandémie qui m’a inspirée: quand j’ai vu le traitement différencié à l’échelle planétaire, j’ai fini par faire une carte de l’Afrique avec tous ces petits flacons. Une manière de symboliser ce qui leur manque”.
Alors que les années de violence en Algérie s’estompent peu à peu, l’actualité le ramène à son deuxième pays, avec le Hirak, les manifestations organisées tous les vendredis par la population pour demander plus de démocratie. “J’ai une amie qui a écrit un poème sur le Hirak. J’ai réalisé une toile pour accompagner son poème, et les deux ont été publiés par la revue Littérature Action”.
Malgré tout, l’artiste aborde des thèmes plus variés, dans une peinture qui intègre parfois des objets, et porte toujours en elle une forme de violence. “J’utilise de la micro-bille de verre pour blinder ma toile, pour qu’elle soit très solide, ce qui libère le geste: j’ai affaire à un mur. Mais je peux utiliser tout type de support: toiles, bois, plaqué, placo”.
Il n’hésite pas à mélanger des matériaux naturels et industriels, comme venant de deux mondes différents, des techniques mixtes sans cesse renouvelées pour montrer que rien n’est figé, que tout se joue “dans un entre-deux”…
Après le deuxième confinement, Habib Hasnaoui a commencé à réfléchir sur l’objet. Et intègre à ses créations d’autres bribes de ce qui se passe sur terre. Comme cette “poupée afghane”, faite d’un bout de tôle rouillée grillagée pour la tête et de tiges d’acier pour le reste du corps. L’oeuvre est parfois revendicatrice, même si la revendication n’est pas claire: dans une petite oeuvre carrée intitulée sobrement “mur”, l’artiste a collé des bouts de papier porteur d’une calligraphie intraduisible. Des traces d’écriture latine et des signes qui évoquent l’arabe, sans en être vraiment: l’artiste ne maîtrise pas l’écriture arabe, mais tient à évoquer ainsi les deux mondes, et peut-être aussi sa propre mère, restée analphabète toute sa vie.
Comme tout être humain, il a des choses à dire et à revendiquer. Mais comme beaucoup, il l’exprime avec des moyens qu’il sait parfois dérisoires. Mais cette dérision amenée par la pauvreté des matériaux, des traits ou des couleurs, est une partie essentielle de son travail.
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VERBATIM
“Mes toiles sont des murs sur lesquels la ville tatoue sa contestation”.
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INSERT
“Mon art expressionniste est une poche de résilience. Il me permet de rebondir, de retrouver une énergie par rapport au quotidien. J’ai d’abord eu besoin de cet art catharsis quand j’ai quitté l’Algérie, mais maintenant, j’ai besoin de cet art pour la source d’énergie qu’il me procure”.
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BIO
Habib Hasnaoui est né en Algérie et a fait ses études en France.
Il a ensuite fait son service militaire en Algérie où il a décidé de rester travailler en tant que dessinateur industriel, à une période difficile où le pays était plongé dans la guerre civile.
En 2000, il se réinstalle en France, à Mazamet et se consacre désormais entièrement à son travail d’artiste.
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