Après la création musicale ( Directeur de l’Atelier Régional de musique du Nord puis créateur aux côtés de XENAKIS des Ateliers UPIC), je me suis intéressé aux relations étroites entre création artistique et recherche scientifique ( Créateur et Directeur d’Alpha Centauri).
Mais à 15 ans je stockais déjà des pierres …
Depuis une vingtaine d’années (j’en ai 72 !) je me consacre exclusivement à la sculpture sur pierres (marbres, serpentines, basaltes, etc.).
Ma démarche
Chaque fois que, dans la montagne ou la campagne, je choisis une pierre pour la sculpter, j’ai un moment d’hésitation. Cette pierre est là, sortie des profondeurs de la terre depuis des dizaines de millions d’années, des millions de vies d’homme. Comment puis-je oser l’enlever, sous le simple prétexte que sa matière et sa forme m’intéressent et m’inspirent.
J’aime parler du « temps de vie » des pierres, même si la biologie n’est en rien concernée. La différence d’échelle entre les temps de vie de l’homme et de la pierre me fascine. Il m’arrive d’imaginer que la pierre « vit » à un rythme d’une lenteur extrême, imperceptible à l’homme, mais que, compte-tenu de son ancienneté, elle a « vécu » et emmagasiné bien plus que moi-même.
Comme j’aimerais que ma future sculpture traduise cette somme là !
Je choisis et ramasse toutes mes pierres dans la nature, au sommet d’une montagne, au pied d’un volcan, dans le lit d’un torrent. Chacune d’elles m’attire par sa matière et sa forme. Quand la séduction opère, elle est le facteur déclenchant de mon travail de sculpteur.
Dès que la pierre est posée sur l’établi, le dialogue s’installe. Ses lignes de force et de faiblesse guident mes outils. Une nervure ici propose un chemin à tailler ou une arrête à profiler, un renflement ailleurs incite à creuser tout autour ; l’inclusion d’une couleur impose de polir… il me semble à chaque fois que la pierre me fait ses propositions.
Il me reste à choisir. La forme finale est ainsi générée peu à peu. Sans projet préétabli, sans but à atteindre. Je coupe, ponce, perce, polis, lustre, elle se transforme lentement ou brutalement, change de couleur ou de « touché », prend la lumière autrement …
Il est par contre de ma seule responsabilité de terminer le travail et de le donner à voir, de le mettre en représentation.
Il m’arrive d’imaginer que je pourrais pousser beaucoup plus loin la démarche, qu’à force d’éclats et de ponçage, la pierre deviendrait poussière… Il lui resterait alors à se sédimenter … pour former une nouvelle pierre, dans quelques millions d’années …
je serai alors comme elle, moi aussi redevenu poussière.
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Article publié dans l’ouvrage annuel, Artistes Occitanie, les 30 artistes (2024)
St-Etienne-de-Gourgas
Alain Després
La pierre, dans sa globalité: sa formation, son histoire, son potentiel artistique
Alain Després aime les pierres. Leurs formes, mais aussi leur histoire, leur formation, leur composition. Adolescent, il les ramassait déjà, sans trop savoir quoi en faire. A 45 ans, il continuait. Et à cinquante ans, il s’est mis à les sculpter.
Depuis son enfance, Alain Després vibre pour une chose apparemment simple: la rencontre avec une pierre, un jour donné, dans un endroit précis. Certes, l’artiste aide un peu le hasard. Avec le temps, il s’est un peu mué en géologue, déplie les cartes, et part avec son sac à dos en sachant quelle pierre il pourra trouver dans tel endroit. Ses pierres préférées? La serpentine du Queyras, mais aussi, en Occitanie des marbres de Mourèze, ou de Caunes en Minervois, des basaltes près du lac du Salagou, le granite du Sidobre, etc. “Je ne peux pas travailler une pierre si je ne connais pas son histoire”, explique l’artiste. Comme un bon vin qu’on apprécie mieux si on connait le vigneron, Alain Després veut pouvoir parler de la pierre avant de la faire parler avec ses outils. “Chaque fois que je choisis une pierre dans la campagne ou la montagne pour la sculpter, j’ai un moment d’hésitation. Cette pierre est là, sortie des profondeurs de la terre depuis des dizaines de millions d’années, des millions de vies d’homme. Comment puis-je l’enlever, sous le simple prétexte que sa matière et sa forme m’inspirent?” Aujourd’hui, l’artiste a réalisé plus d’une centaine d’oeuvres, mais toutes sont présentées sur son site de la même manière: une photo et une simple légende: “pierre ramassée à …” et s’en suit le nom d’un village, d’une montagne, voire d’un ami chez qui l’artiste a ramassé son gros caillou.
Pour une exposition à Clermont l’Hérault en 2016, le sculpteur n’avait exposé que des oeuvres réalisées avec des pierres trouvées dans les environs de Clermont, créant immédiatement une connivence avec le visiteur: “c’est donc dans mon environnement immédiat qu’on peut extraire une telle oeuvre”…
Si l’origine de la pierre et son histoire géologique sont essentielles, sa forme et ses détails vont ensuite permettre à l’artiste de faire son choix. Car, dans la nature, il trouve des pierres autant qu’il en veut, mais il va revenir avec une, voire deux ou trois qu’il aura choisies parmi toutes les possibilités: celles qui l’inspirent, par leur forme, leurs lignes de force ou au contraire leur fragilité. Le travail dans l’atelier peut alors commencer, mais il ne consiste qu’à accompagner ce que lui a déjà dit la pierre sur le terrain. “Cela a un immense avantage, poursuit l’artiste en s’amusant: cela évite l’angoisse de la page blanche! Car la pierre a elle-même écrit les premières lignes”. Il va d’abord la retourner dans tous les sens, quelques heures, quelques jours, voire quelques années, si l’inspiration ne vient pas tout de suite. Le travail en taille directe peut ensuite commencer: Le dialogue intime s’instaure, la pierre lui fait des propositions, il lui appartient de choisir. “Une nervure ici propose un chemin à tailler ou une arrête à profiler, un renflement ailleurs incite à creuser tout autour ; l’inclusion d’une couleur impose de polir… il me semble à chaque fois que la pierre me fait ses propositions”.. Le sculpteur ne cherche pas le motif figuratif, même s’il ne se l’interdit pas non plus. C’est pour lui un faux débat, le seul qui vaille est le dialogue avec la pierre. “Pour moi, toutes les pierres vivent, mais elles ont un rythme qui n’ont rien à voir avec le nôtre. Une pierre métamorphique par exemple, compte déjà quelque 300 millions d’années. Cela peut paraître vertigineux, mais si on la place dans une échelle de temps encore plus grande, finalement, notre planète avait à cette époque-là déjà vécu 97% de son existence jusqu’à aujourd’hui. Dans tout ce travail, ce qui me passionne finalement, c’est le facteur temps”. Après le travail de la pierre, vient l’installation, la façon de la mettre en valeur. Certains sculpteurs ont fini leur travail une fois la pierre sculptée ou le bronze fondu et ils n’ont plus qu’à la poser sur un socle. D’autres, comme Brancusi mais aussi Alain Desprès, intègrent la présentation à l’oeuvre finale: le socle participe de l’ensemble. Il permet par exemple d’apporter la légèreté à la pierre qui semble en lévitation au-dessus, ou qui s’affiche fièrement en haut de tiges de métal, ou qui bouge au centre d’un cube métallique. La pierre devient le centre d’une histoire mais a rejoint un univers où d’autres éléments interviennent. “C’est vrai que j’aime apporter de la légèreté à la pierre. Celle-ci, issue de la profondeur de la terre, métamorphosée, puis séparée de la montagne quand elle tombe au sol, ne se laisse voir que si on baisse les yeux. A mon tour de proposer la suite en la polissant, en renforçant ses lignes et en l’élevant un peu, souvent à hauteur de regard”. La pierre montre alors fièrement ses caractéristiques de départ, elle montre aussi ses nouvelles possibilités, mais en restant toujours ancrée dans des racines géologiques et géographiques qui en font sa singularité.
Anne Devailly
VERBATIM Il m’arrive d’imaginer que je pourrais pousser beaucoup plus loin la démarche, qu’à force d’éclats et de ponçage, la pierre deviendrait poussière… Il lui resterait alors à se sédimenter … pour former une nouvelle pierre, dans quelques millions d’années …
je serai alors comme elle, moi aussi redevenu poussière.
BIO
Né en 1948 dans une famille ouvrière, heureuse mais sans trop de moyens. Assez logiquement, Alain Desprès fait des études courtes et fonctionnelles, un BTS d’électronique, mais choisira rapidement une autre voie en passant dans le champ culturel: animateur puis directeur de structures artistiques et culturelles durant plus de 25 ans. Il a notamment créé et dirigé Les Ateliers UPIC aux côtés du musicien Iannis Xénakis, qui avait inventé une machine qui permettait d’engendrer de la musique à partir d’une table à dessin (pour faire simple…). Il a dans ce cadre organisé et animé de nombreux événements en Amérique du Nord, au Japon ainsi que dans la plupart des pays d’Europe.
Il a ensuite créé et dirigé une structure dont la vocation était de favoriser les collaborations entre chercheurs scientifiques et artistes.
Mais depuis vingt ans, il a choisi d’entamer réellement le dialogue avec les pierres qu’il ramasse depuis ses 15 ans…
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Octobre 21 Juvignac
Eté 2019 Grotte des Demoiselles
Printemps 2019 Agde
Printemps 2019 Bris sous Forges (91)
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