Patrice Cujo, Pyrénées-Orientales
Patrice Cujo, la toile et le territoire
Patrice Cujo a beaucoup voyagé avant de poser ses valises près de Perpignan. Il a toujours puisé son inspiration dans les lieux où il a vécu, plus précisément dans les représentations cartographiques de ces lieux, qu’il réinterprète à sa façon.
Des cartes géographiques, des cartes où l’on peut situer des lieux, des cartes rognées par des symboles ou des dessins, des cartes présentes en tant qu’objet de papiers, avec leurs pliures si caractéristiques.
Patrice Cujo met la carte géographique au centre de son travail de peintre. Lui qui a vécu dans différentes îles du Pacifique ou de l’Océan indien, a trouvé avec ce matériau de quoi raconter d’une façon très personnelle l’histoire des lieux.
« J’ai vécu dans ces archipels. On peut donc dire que travailler sur les cartes de ces lieux était un peu opportuniste au départ, mais ce qui m’intéresse avant tout, c’est le langage cartographique et le détournement permanent par les hommes qui y vivent et par ceux qui font les cartes. Le cartographe est toujours en train de proposer une vision précise du pays qu’il représente. Et ça, c’est passionnant ».
Patrice Cujo ne choisit pas ses thèmes au hasard : il travaille toujours sur des îles où il a vécu, après s’être renseigné sur les gens et sur l’histoire du lieu. Ce qui fait de sa peinture un mélange troublant, où l’on décèle dès le premier abord le thème majeur, mais où on peut, avec lui, décrypter de manière beaucoup plus approfondie tous les éléments qui le composent. Une peinture à la fois très accessible, et extrêmement complexe.
Promenade avec l’artiste à travers quelques toiles, et quelques éléments d’explication, loin, très loin d’en épuiser le sens.
La carte est ici bien présente, en tant qu’objet de papier plié et déplié, en tant que représentation également, représentation de la Calédonie et de la Réunion, toutes les deux imbriquées. « J’ai tenu à rendre tous les plissés de la carte, car cela peut renvoyer aux échanges coutumiers qui se pratiquent en Nouvelle Calédonie, précise Patrice Pujo, des échanges d’étoffes, souvent des bandes allongées ».
Au centre du tableau, ce qu’on pourrait prendre pour des crânes vus de haut, mais qui sont là encore des représentations cartographiques : à gauche, celle, imaginaire d’un continent disparu, la Lémurie, à droite, celle de l’Utopie telle que Thomas Moore l’a décrit lui-même dans son œuvre.
Et comme Thomas Moore a imaginé son Utopie en s’inspirant des labyrinthes, la partie basse du tableau n’est qu’un prolongement logique de l’ensemble. Précision supplémentaire de l’artiste : « un labyrinthe anglais, qui a quatre entrées et quatre sorties possibles… »
Patrice Cujo a peint ce tableau quand il habitait à la Réunion, dans un quartier où se mélangeaient toutes les communautés. A ceux qui s’arrêtaient, le peintre racontait l’histoire de ce tableau, en partie leur histoire…
L’histoire de l’archipel des Chagos, situé dans l’Océan indien, est l’histoire d’une spoliation scandaleuse. Quand l’île Maurice, longtemps britannique, a obtenu son indépendance, Londres a demandé en contrepartie que les Chagos deviennent une base militaire pour eux et les Etats-Unis. Les habitants de l’archipel se sont retrouvés de fait expulsés et sont partis pour la plupart sur l’île Maurice, aux Seychelles ou à la Réunion.
L’histoire n’est pas terminée, puisque la « location » des Chagos par les Anglosaxons prend fin en 2014. …
Pour illustrer cette histoire compliquée et emprunte de relents colonialistes, Patrice Cujo a choisi la toile de Jouy, un textile qui a lui-même une histoire complexe entre colonisés et colonisateurs. A la base, un coton fait en Inde avec des techniques indiennes, que vont s’approprier les Londoniens pour en faire un produit prestigieux, qui va plaire aux Britanniques installés dans l’Empire des Indes…Tout cela s’imbrique pour donner une toile qui là encore possède différents niveaux de lecture.
L’île Maurice est un continent à elle tout seule où se mélangent de nombreuses langues, différente populations locales, sans même parler des touristes qui eux aussi viennent de différents univers.
Pour donner une idée de ce monde morcelé, Patrice Cujo a représenté l’île, petite, sobre, au centre inférieure de la toile, une île dominée en haut par une carte des fonds marins qui l’entourent, des fonds caractérisés par une multiplicité impressionnante de failles. Présentées sous cette forme, ces abysses finissent par représenter un ciel menaçant et dominateur. Et en bas, l’île est cette fois-ci cernée par la liste des langues existant sur la planète, liste qui s’amenuise de jours en jours…
Cette toile est peinte sur un grand pan de tissu indien que Patrice Cujo a tout simplement acheté au marché de Port-Louis, sur l’île Maurice. Maurice et Rodrigues y sont représentées, reliées ou séparées par les constellations qui dominent leurs cieux. A chaque grande intersection dans ce paysage céleste, l’artiste a rajouté des noms d’écrivains qui ne sont bien sûr pas choisis au hasard.
Certains détails sont parfois assez ludiques, comme ce détournement des carrés blancs et noirs sur les deux côtés du tableau, où l’artiste les a repris… comme il les voit sur les qrcod présents sur ses billets d’avion…
En avril-mai, l’artiste présente les œuvres qu’il a consacrées aux îles des Mascareignes au Palais des Rois de Majorque…Mais depuis qu’il est installé près de Perpignan, l’artiste s’intéresse maintenant aussi à l’histoire de la Catalogne… et en livre également sa propre interprétation au cours de cette exposition.
AD
Article publié en juillet 2013