Claude Thibaud, Lot
Des personnages qui s’activent, malgré tout
Claude Thibaud aime le corps humain.
Il le représente dans la plupart de ses toiles tout en s’affranchissant des contraintes de la forme et des règles anatomiques. Les personnages s’activent dans un décor fait d’aplats qui ne donne pas plus de précision. Le corps humain, comme en apesanteur, dans un vide où tout est possible.
Les personnages de Claude Thibaud évoluent souvent dans le vide ou entre des aplats qui restent bien abstraits. Ils ont un aspect blême, commun à tous, pas de tête très expressive mais un regard insistant qui les distinguerait les uns des autres, pas d’âge, ils sont pour la plupart nus, sans être franchement sexués. Bref, des personnages anonymes dans un univers anonyme. Quasiment des fantômes ne vivant que dans leur regard.
Si on s’en tient à cette description, on peut poursuivre facilement la réflexion: un univers morbide, des personnages guettés par la mort, un univers sans élément concret, et donc peu engageant. Le fond est constitué d’à-plats bien souvent noirs ouvrant sur un ailleurs sombre et mystérieux, comme des trouées dans les tableaux.
Et pourtant… ils dansent, font de la gymnastique (barre au mur ou cerceau), ils s’amusent, ils jouent avec les chiens, ils s’enlacent, ils discutent avec un cacatoès, portent des masques.
Parfois même, ils sont inscrits dans un contexte bien précis: avec Guinefort, Claude Thibaud livre son interprétation d’une légende médiévale, mettant en scène un comte, un serpent et un chien, tout en gardant le mystère qui entoure toutes ses oeuvres, avec notamment la profondeur apportée par l’à-plat noir du fond.
Bref, au-delà de la première apparence, cette peinture n’a rien de morbide ou angoissante. Elle serait même assez aérienne, chaque oeuvre étant vraiment centrée sur le personnage et son activité. Rien pour détourner le regard, – quoique certains symboles soient présents
pour aider à une lecture comme le cacatoès, réincarnation provisoire d’une âme -, juste des personnages et une façon de figer le temps. La vie, malgré tout…
Une peinture qui peut faire penser avant tout au divertissement pascalien, ou à la philosophie de l’absurde d’Albert Camus, avec son personnage emblématique de Sisyphe qui roule encore et toujours son rocher en haut de la montagne pour le voir dévaler la pente et, malgré tout recommencer l’opération. C’est absurde? Peu importe, la vie est en marche.
VERBATIM
“Dans les 27 oeuvres que l’artiste a peintes de 2014 à 2016, j’ai apprécié une grande unité et cohérence stylistique et formelle. Les toiles montrent une grande perspicacité psychologique, où la solitude de l’homme est évidente. Il y a un grand fond de pessimisme et de tristesse, d’oppression réelle et d’angoisse existentielle causée par la question du mystère de la nature humaine et du sens de la vie.
La présence du temps et la finitude inexorable de l’homme est évident. Les figures ectoplasmiques / fantomatiques sont des taches organiques qui se profilent dans un milieu ou un espace qui semble hostile, quelque chose de comparable à des taches d’huiles dans un milieu aqueux. L’image de l’homme apparaît comme une lumière de magma visqueuse colorée d’une grande complexité organique dans la plupart des cas. Les lambeaux de chair émergent d’un fonds qui semble hostile: fait de matière noire, invisible, cet espace devient un espace cosmique impénétrable vide et asphyxiant, fermé”.
Angel Muriel, peintre espagnol
Parfois, évidemment, le pinceau de Claude Thibaud se dirige davantage vers un univers à la Francis Bacon: les corps se font encore plus contorsionnés, déstructurés, et l’artiste pousse parfois même la filiation à intégrer ses créatures dans de grands triptyques comme le faisait le peintre britannique. Dans le triptyque Métamorphose, la figure humaine finit par être tellement démantelée que plus grand espoir n’est permis: toute cette agitation semble quand même épuiser le sens d’une présence sur terre.
En fait, dans un cas comme dans l’autre, Claude Thibaud se laisse guider par son pinceau. Sa peinture est tout sauf une construction intellectuelle préalable: “Généralement, j’ai une idée et je dessine très rapidement, puis cela se modifie. La scène va se construire directement sur la toile, mais tout cela va finir par prendre du temps”. Cette façon de procéder renforce l’ambiguïté du sens de ses toiles. Dans Diffraction, on a d’abord le sentiment de voir un personnage en décomposition, des chairs qui laissent apparaître un squelette, … mais on peut tout aussi bien voir un pinceau qui, à partir de tâches initiales, a au contraire recréé quelque chose de vivant… ou disons qui tend à s’approcher d’une forme de vie. Dans le premier cas, l’oeuvre tire vers le lugubre, dans le deuxième, elle est pleine d’espoir.
En moyenne, l’artiste ne peint guère plus d’une toile par mois. Et pour rester dans cette logique qui veut que le pinceau prime sur le concept, le titre vient en dernier.
De temps à autre, l’artiste a complété ce travail de peinture par des collages, qui s’inscrivent dans la droite ligne de sa peinture: par essence, le collage est un art relativement ludique, qui vise à imaginer comment associer des éléments disparates, mais l’artiste utilise la technique là encore pour brouiller la vision que l’on peut avoir d’un être humain: les têtes sont là encore reconnaissables, mais irréelles. L’être humain n’abandonne pas, il est toujours là, même si on se demande à quoi rime cette présence sur terre…
La peinture de Claude Thibaud est donc complexe, pleine de sous-entendus, ouverte à de nombreuses interprétations, énigmatique. Mais les toiles, se complétant les unes les autres, finissent par créer un univers qui, dans sa globalité, possède une vraie harmonie. Chaque personnage ne le sait sans doute pas, mais il évolue dans un monde finalement très cohérent, dans sa palette et dans ses constructions. La vie n’est pas si absurde que ça…
A.D.
Article paru en mai 2018
Bio
Né en 1948 en Touraine, Claude Thibaud manifeste très jeune un talent pour le dessin et la peinture. A l’âge de 10 ans, il part aux Etats-Unis où il fait ses études secondaires puis universitaires. Il étudie à la School of Visual Arts à New York dans les années 70. De retour en France en 1980, il fonde une entreprise à laquelle il consacre une longue période de sa vie. Retiré des affaires, il renoue à partir de 2014 avec sa passion première et reprend ses pinceaux, ses toiles et ses couleurs.
Il vit actuellement près de Cahors où il a son atelier.
Tous les ans en octobre, il participe au salon de l’association Figuration critique, dont il est membre, qui rassemble 70 artistes à la Bastille.