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Sylvie Romieu

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Sylvie Romieu, Aude

L’atelier, porte ouverte sur le monde

Sylvie Romieu fait de son atelier le point central de son travail : depuis une quinzaine d’années, c’est le lieu qui l’inspire, le lieu où elle photographie, le lieu où elle transforme ces photos « bouts de papier » en œuvres d’art. Rencontre avec une plasticienne qui ne s’interdit rien devant ou derrière l’objectif.

Un sol fait de briques, un mur à la patine rouge ancienne, une fenêtre, un petit canapé qui a vécu… Le tout dans quelques mètres carrés. Voilà le point de départ de l’univers de la plasticienne Sylvie Romieu. En haut de sa maison, située dans un village audois, l’artiste n’en finit pas de revenir dans cet espace, petit mais aux possibilités infinies.

« Je suis une femme d’intérieur, s’amuse la plasticienne. Je pars toujours du lieu, de l’atelier et de sa lumière ». L’artiste est donc partie de cet intérieur aux multiples possibilités pour en faire un espace intemporel, propre à accueillir des créations qui s’ouvrent sur d’autres dimensions.

Sylvie Romieu n’est pas au départ une photographe « technicienne », peut-être parce qu’elle ne s’est décidé à développer sa fibre artistique que tardivement, autour de la quarantaine.

C’est sans doute pour cela que son premier travail photographique, il y a une quinzaine d’années, a été –apparemment- au plus simple : elle, dans l’atelier, avec un appareil simple d’utilisation. Le point de départ était posé, le résultat en revanche relevait déjà d’une démarche plus complexe : une fois développés (par un laboratoire professionnel), ses autoportraits sont loin de constituer l’œuvre achevée. Sylvie Romieu les retravaille, en testant sur la représentation de son propre visage ce qu’elle trouve : des brûlures, des ratures faites au papier de verre, des coups d’éponge pour enlever les pigments. Il en résulte une série de photos sans âge, entre présent et passé, où le modèle ne se livre qu’avec réticence.
Depuis, le travail a bien sûr évolué, s’est complexifié, mais la donnée de départ reste la même : la photo pour Sylvie Romieu n’est qu’un point de départ, « un bout de papier, un passage, tout sauf une fin en soi ». Assez vite, elle intègre ses photos dans des boîtes et leur donne une nouvelle dimension, un objet, avec une épaisseur, et quelque chose permettant une approche plus narrative qu’une simple photo frontale.

De ses autoportraits de départ, elle est passée à un travail sur la mémoire où l’œuvre finale était constituée de ses autoportraits mélangés à des photos familiales anciennes, parfois trouvées dans des vide-greniers, l’ensemble formant une nouvelle famille, imprécise, intemporelle, abimée par le temps, mais choisie.

« Et puis à un moment est arrivée Marguerite Duras ! C’est sans doute le côté ‘femme d’intérieur’ qui m’a rapproché d’elle. Elle a vécu dans trois maisons, dont une qui a pris de l’importance, celle de Neauphle-le-Château. Elle disait que quand elle écrivait, c’était la maison qui lui dictait l’histoire ».

Toujours dans son petit coin d’atelier, Sylvie Romieu se lance alors dans la fabrication d’un livre, Les mots de Marguerite Duras. Elle donne ce livre (vierge de tout texte) à « lire » à des proches et les prend en photo, toujours dans la lumière diaphane de son petit atelier. L’artiste va alors entrer dans un jeu de mise en abime avec le travail de l’écrivain. Elle réduit la photo pour la faire rentrer dans le livre, joue avec le papier de soie qui sépare chaque page du livre, pour que ce papier recouvre en partie la photo avant de reprendre un nouveau cliché : visuellement, la lectrice du livre est devenue partie intégrante de l’ouvrage.

Pas de retouche, pas d’utilisation de photoshop, juste une conception réfléchie et des jours de travail pour parvenir au résultat recherché : une photo aux tons diaphanes, hors du temps, dans un univers apaisé. « Cette série, je l’ai conçue en réaction à mon travail précédent, fait de photos assez sombres et violentes, où dominait la lourdeur du passé, le noir, la brutalité infligée aux photos. Ici, c’est au contraire le blanc qui domine et la délicatesse d’un cliché vierge de toutes retouches, la légèreté… J’avais envie d’appeler cette série ‘Moderato Cantabile’, en référence à un ouvrage de l’écrivain ».

Un travail en amenant un autre, Sylvie Romieu a complété cette première approche autour de Marguerite Duras par un travail sur d’anciennes plaques de verre photo, clichés pris au début du XXè siècle en Indochine, et que lui a confiés un ami. L’artiste rephotographie ces vues à la lumière de son atelier, leur donne une patine sépia qu’ils n’avaient pas, pour les intégrer à l’univers de Duras, comme un univers en résonnance avec le passé de l’écrivain, mais fournie par l’artiste-photographe audoise.

Depuis son atelier, l’artiste arrive donc à élargir son monde, à sortir de l’introspection et aborder des thèmes qu’on imaginerait volontiers traiter par des photographes-voyageurs.
Dans le même ordre d’idées, Sylvie Romieu a réalisé dernièrement une série d’œuvres inspirées par des cartes géographiques. Une carte, quelques éléments construits à partir de bouts de carton, un vêtement judicieusement placé, et voilà comment, depuis son atelier, l’artiste propose sa propre lecture de ce qui bouleverse l’Europe aujourd’hui.
« J’ai réalisé cette petite maison en carton, avec d’un côté un papier peint défraîchi et de l’autre au contraire, deux pans de mur doré. Il me semble que cela symbolise assez bien ce que peut être l’Europe pour les migrants : vue de loin, un objet qui brille et qui attire, pour se révéler usé et factice quand on l’aborde ».

La carte a fait naître différentes œuvres, plus ou moins narratives. Dans l’une, l’appareil, posé à même la carte, donne l’impression que le bout de carte routière représentée, figure une immensité infranchissable. En l’occurrence, un bout de territoire africain. Au loin, à l’horizon de cette carte-océan, cette petite maison inaccessible, ou une montagne que l’on devine difficile à franchir (et qui n’est qu’un fragment d’une robe noire de l’artiste), comme un écho évident à l’actualité cruelle de ces derniers mois.
Dans une autre au contraire, Sylvie Romieu utilise la carte pour reconstruire une histoire plus personnelle et plus intemporelle. Dans la partie basse de l’œuvre, des photos montrant son histoire personnelle, intime, un voyage intérieur pendant que la partie haute montre le voyage qui concerne toute l’espèce et qui a aussi marqué l’histoire de chaque être humain, avec là encore, un bout d’Afrique bien présent.

De l’intime  à l’universel, de l’autoportrait dans l’atelier à la représentation des problèmes planétaires, Sylvie Romieu réussit à la quadrature du cercle dans quelques mètres carrés, situés à quelques kilomètres du lieu où elle est née, il y  a quelques décennies.

Anne Devailly

Rencontre publiée en mars 2016

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