Sonia Modock, Hérault
Les creux et les pleins de l’âme humaine
La sculptrice Sonia Modock crée des figures humaines qui sont évidées sans pour autant devenir des crânes sans vie. La vie est là, dans les traits du visage, tout en s’échappant inexorablement…
Mi-mars, Salvador Dali et sa moustache refont surface. Présentée à Argelès-sur-mer, cette sculpture représentant l’artiste catalan le montre tel qu’une certaine génération a pu le connaître : moustaches bien tirebouchonnées pour vanter les mérites d’un certain chocolat… La sculptrice Sonia Modock est allée plus loin que la publicité des années 70, que Dali avait accepté de faire alors qu’il était au faîte de sa gloire : comme dans la pub, les moustaches tournent sur du vide, mais ici en plus la main sort de nulle part. La pub avait pu à l’époque sembler un caprice, une futilité dans la carrière déjà bien remplie de l’artiste. D’un côté l’œuvre qui restera, de l’autre ces quelques secondes vouées à disparaître.
La réalité montre que c’est plus complexe que cela, et le « Je suis fou du chocolat Lanvin » fait finalement partie de son œuvre elle aussi. Les frontières sont brouillées, le vide, le plein, le creux, le profond, le temporaire, le permanent…
Un sujet en or pour la sculptrice Sonia Modock qui aime à travailler des sculptures où tout est une question d’équilibre entre le vide et le plein. Pour renforcer ce contraste creux-plein, l’artiste a choisi ici une patine en argent, qui permet de jouer en plus sur le mat et le brillant.
Avant Salvador Dali, il y a ainsi eu par exemple cette sculpture intitulée 21 grammes, qui représente un visage. En fonction de l’angle de vue, on peut y voir deux sujets différents : d’un côté, un homme ou une femme en train de crier ou de hurler, la bouche formant un grand vide dans ce qui reste quand même un visage plein, tellement plein qu’une petite femme vient même se nicher dans les méandres de l’oreille.
Mais si l’on regarde maintenant l’autre profil, le vide devient tellement important que le visage s’apparente alors à une gueule cassée. « Dans cette sculpture, j’ai voulu garder tout ce qui s’en va quand la mort arrive, les cris, les émotions, les regards qui s’accrochent ou les bruits qui reviennent. C’est un peu le contraire d’une vanité : non pas la mort qui arrive, mais la vie qui s’accroche malgré tout. Je l’ai appelé 21 grammes, en référence au titre du film d’Alejandro Inarritu : selon un médecin américain, l’être humain perdrait 21 grammes au moment de sa mort, un poids qui correspondrait au poids de l’âme ».
Pour Sonia Modock, ces deux œuvres sont emblématiques de son travail depuis qu’elle sculpte la matière, il y a une quinzaine d’années. « J’ai d’abord été prof de danse et prof de gym. Je m’exprimais alors avec mon corps. Et puis ma vie a basculé quand j’ai perdu mon fils. J’ai tout arrêté, mes jambes ne portaient plus ma créativité ».
Petit à petit, Sonia Modock s’accroche et renoue avec la création, mais cette fois-ci, ce sont les mains qui vont exprimer ses émotions : les mains qui sculptent et malaxent la terre pour en sortir des visages, des personnages, des émotions.
Elle commencera par une première série autour de la Mère et l’enfant, une série de huit pièces, (huit comme le nombre d’années vécues par son premier fils) comme s’il fallait en passer par là pour faire le pont entre les deux parties de sa vie.
Elle va ensuite enchaîner avec une série qui se poursuit toujours, une série qui se définit cette fois-ci plus par une technique que par un thème proprement dit : le vide et le plein. « En fait, dans mes sculptures sur la mère et l’enfant, ce qui m’intéressait déjà, c’était la lumière et pour qu’elle puisse pénétrer la sculpture, j’avais tendance déjà à créer des passages. Ces passages sont peu à peu devenus des creux qui ont pris de plus en plus d’importance ».
Pour toutes ses œuvres, l’artiste crée au départ des dessins précis de ce qu’elle souhaite ensuite réaliser dans la terre. Pour ADN, par exemple, Sonia Modock a représenté avec précision cet enchevêtrement de neuf mains, tout en verticalité : en bas, les racines d’où s’extraient des mains qui vont s’accoupler pour donner naissance à un chemin de vie, chemin qui se construit cahin-caha, entre une main qui retient et une main qui pousse, pour aboutir au final à une nouvelle main accrochée de manière tout à fait hasardeuse par le petit doigt… Ainsi va la vie, avancée, retrait, hasard, fragilité.
L’artiste est parfaitement consciente, dès ce dessin, que cette sculpture va représenter une véritable prouesse technique, aussi bien pour elle (le travail de la terre) que pour les fondeurs (le travail du bronze). Mais en tant qu’ex-danseuse, elle a suffisamment de notion d’anatomie et d’équilibre pour savoir jusqu’où elle peut aller. Et la sculpture sortira de la fonderie pour tenir droite, sur 2,20 mètres de hauteur, avec des creux plus importants que les mains qui les forment. « J’aime les mains. Elles sont souvent plus expressives qu’un visage, et puis c’est le passage du langage du corps au travail des mains sur la terre qui m’a permis de sortir du marasme ».
A côté de ce travail, Sonia Modock a réalisé une autre série, plus apaisée, de corps qui se répondent, les inter-actifs. Des sculptures qui vont par deux, par trois ou par quatre : chaque ensemble est constituée de personnages qui peuvent s’emboîter de différente manière, selon la volonté de celui qui les manipule.
Cette fois-ci, l’artiste met en valeur non la précarité des êtres mais leur côté fusionnel. Une fusion qui est néanmoins toujours à construire.
AD
Rencontre publiée en mai 2017