Rencontre avec Pierre Colsenet, photographe, Gignac (34)
Le photographe Pierre Colsenet réunit deux passions qui sont finalement rarement associées: la photographie artistique et les voitures de collection. Rencontre avec un artiste atypique.
Pierre Colsenet, vous étiez Athlète de Haut Niveau et photographe installé en ville et vous n’avez découvert le monde automobile que bien après. Comment s’est effectuée la rencontre entre ces deux mondes?
- Vous avez raison, cela ne fait qu’un an que je photographie les voitures de collection, pour les magnifier, comme un photographe culinaire essaie de magnifier le travail d’un grand Chef.
Mais tout cela est arrivé un peu malgré moi. Pour être honnête, ce n’était pas du tout mon univers au départ, c’est un concours de circonstances. Tous mes amis étaient passionnés par l’automobile sauf moi, j’avais une image très tranchée sur le sujet, je ne comprenais pas cette passion avant d’y être immergé lors d’un événement.
Et puis un jour un ami m’a demandé de lui prêter une caméra car il voulait filmer un événement automobile organisé par deux Youtubers (Vilebrequin) sur le circuit de Magny-Cours, dans le centre de la France.
Il avait fait un covering sur sa voiture pour l’occasion, j’ai voulu immortaliser sa voiture un soir avant qu’il parte. Puis ce soir là en me racontant l’événement à venir, cela m’a donné envie d’y aller et je l’ai accompagné en dernière minute.Cet événement m’a permis de découvrir une autre facette du monde de l’automobile que j’ignorais totalement: un monde bon enfant de passionnés qui ont du respect pour les belles voitures. C’était très agréable et cela m’a donné envie d’aller plus loin. Je me suis reconnecté à ce que n’importe quel enfant rêve de voir : des voitures, de la couleur, le bruit des moteurs et l’odeur particulière de l’essence.
J’ai voulu prolonger cette expérience sur les rassemblements automobiles locaux. Et là encore, ce sont les circonstances qui ont décidé de mon travail: les rassemblements se font généralement de nuit.
Je me suis donc adapté et je fais des photos avec des temps d’exposition long, adaptés au monde nocturne. Et un soir j’ai décidé d’ajouter de la couleur pour créer une ambiance comme dans le jeu qui a bercé mon adolescence : Need For Speed Underground.
Et vous êtes devenu un vrai spécialiste?
- Oui. Aujourd’hui, on peut le dire!
Au départ, je restais dans un univers que je connaissais bien, celui de mon enfance : dans les années 90-2000, je baignais comme beaucoup dans un univers de jeux vidéo et films. J’apprécie la culture auto japonaise qui a su préserver son ADN et qui a donné naissance à des disciplines phares comme le Drift, les modifications esthétiques / performance et a eu une influence mondiale derrière.
J’ai souhaité commencer par photographier cet héritage avec des véhicules japonais emblématique des années 2000.
En poursuivant l’aventure, je me suis rendu sur d’autres événements, dont un à Agde qui a changé le cours de mes projets. J’ai rencontré le propriétaire de Grand Tourisme Import qui avait une Nissan Skyline R34 – Z Tune, un modèle très rare. J’ai photographié sa voiture sur cette soirée-là, et il m’a invité avec mes amis à l’inauguration de son atelier la semaine d’après.
C’est là que la démarche artistique a pris un tournant, car j’ai décidé de sortir sur papier d’art sa voiture et de lui montrer en vrai plutôt que sur un petit écran. Quand j’ai vu le tableau de mes propres yeux et la finition je suis tombé amoureux, je n’avais qu’une hâte c’était de revenir pour voir de nouvelles voitures sortir de l’imprimante. Pour remercier Anthony, lors de son inauguration, j’ai décidé de lui offrir mon premier vrai tirage d’Art auto.
A partir de là, il m’a dit que j’avais carte blanche. Lors de cette inauguration, Anthony m’a laissé photographier une de ses voitures mythiques avant qu’elle parte chez son nouveau propriétaire : la Nissan Silvia S15 – Mona Lisa, qu’on voit dans le film Fast and Furious Tokyo Drift. En fait, quatre voitures ont été produites pour ce film. Deux ont été détruites, mais j’ai pu photographier un des seuls exemplaires restants, dans les locaux de Grand Tourisme Import à Ongles. Aujourd’hui, ce serait plus compliqué car cette voiture est maintenant en Autriche. Et l’aventure a démarré!
C’est devenu un jeu d’aller chercher des voitures incroyables. Je contacte les propriétaires, ils me confient la voiture. Je trouve le lieu et la mise en scène adéquate, je fais toutes les photos de nuit en pause longue et je fais un gros travail d’editing derrière.
C’est un gros processus incrémental où je vais sélectionner des détails de chaque photos réalisées pour un résultat ultra détaillé. Je passe plus de 30h de travail pour réaliser une œuvre avec en moyenne 25 à 40 photographies avec des éclairages différents. J’aligne et fusionne le tout à la main pour ne laisser aucun détail au hasard. C’est ce qui donne ce rendu très particulier à mes œuvres. La série Night Car Studio était lancée.
J’essaie de plus en plus d’aller sur des détails et compositions de plus en plus précis. Par exemple, pour la Nissan 13 Rouge, on a utilisé un cric pour tourner les roues afin que les logos sur les jantes soient à l’endroit.
Et en même temps, on a respecté la volonté du propriétaire et on a mis son masque à la place du passager aux côtés du conducteur ! Je laisse parfois délibérément des détails et références spécifiques au véhicule, au propriétaire ou à l’histoire du modèle dans la culture automobile.
Jusqu’ici, j’ai surtout essayé de rendre hommage aux véhicules et aux palettes chromatiques des années 2000: il s’agit à la fois de sublimer la voiture mais aussi de capter l’essence de cette époque. Aujourd’hui, j’envisage de partir sur des séries historiques comme les voitures de rallye, de formule 1, des 24H du Mans, des véhicules de FIlms ou des voitures Vintage…
L’objectif de long terme est de faire un peu un “hall of fame” de ces voitures, toujours en les sublimant avec ma patte.
Récemment j’ai également obtenu le soutien de Honda France pour créer une série spécifique à la Marque en France, notamment en venant exposer en collaboration avec la marque sur le plus grand rassemblement Honda d’Europe, au Honda Euro Meet 2024 qui se tiendra à Clastres, dans l’Aisne, du 23 au 25 août.
C’est une véritable course contre la montre aujourd’hui pour trouver les propriétaires, avoir des disponibilités et planifier les shootings.
Dans tous les cas, l’objectif plus global reste le même: à travers la voiture et une époque, c’est un voyage dans le temps, et dans un art de vivre auquel je convie le regard. L’importance aussi de savourer chaque instant, justement parce que le temps…. est une donnée éminemment fugitive.
Et j’aimerai aussi aller au Japon poursuivre ma série sur les voitures japonaises ! Voilà comment une aventure totalement inattendue est en train de changer ma vie, et celle des amis qui m’accompagnent et me soutiennent dans ce projet. Bien que je sois l’artiste, les personnes qui m’entourent m’aident à dénicher des propriétaires, m’accompagnent sur les expositions et me donnent des axes de développement. Chacun s’investit à son échelle et faire cela tout seul n’est pas aussi passionnant que de le vivre à plusieurs !
Propos recueillis par Anne DevaillyPierre Colsenet collabore étroitement avec Mickaël Triquet, qui dirige le laboratoire Impression d’Art: « C’est grâce à lui et son accompagnement que j’ai également pu développer des perspectives artistiques. C’est lui qui m’a conseillé différents papiers fine art notamment un qui est le Hahnemühle Baryta avec finition « Metallic », qui est désormais la signature de mes créations. Désormais, je collabore étroitement avec lui pour le développement de mes projets artistiques ».