Nathalie Sapin, Hérault
Le bestiaire de Nathalie Sapin
A Béziers, Nathalie Sapin découvre les stockages d’animaux empaillés, à la Caserne Saint-Jacques. Fascinée, elle va finir par dialoguer avec ces animaux à qui personne ne prête attention. Avec son appareil et son ordinateur, elle leur offre une nouvelle vie, qui leur permet d’entrer de plein pied dans le monde actuel. Post-mortem mais diablement contemporain.
Récit de cette aventure par l’artiste elle-même.
« Si je dois parler du point de départ de la série, qu’est ce qui a fait que je me suis retrouvée à travailler avec des animaux naturalisés? Je dois remonter le temps, plonger dans un souvenir : je travaillais dans l’ancienne Caserne St Jacques, j’y avais installé l’atelier photo et le laboratoire de développement. C’est dans les longs couloirs un peu lugubres que je croisais régulièrement des employés municipaux qui entraient et sortaient des anciens appartements devenus lieux de mystérieux stockage.
Je me demandais régulièrement ce qu’il pouvait y avoir derrière toutes ces portes fermées à double tour… Un matin, l’employé de mairie ouvre la porte face à l’entrée de mon atelier, il entre et laisse la porte entrouverte. Là, je regarde, je vois des oiseaux empaillés à même le sol, de la poussière, divers petits animaux entassés sur des étagères, une sorte d’installation surréaliste, totalement irrationnelle.
J’ai cohabité avec eux quelques années. J’étais amusée par la situation, je me projetais dans des films fantastiques et bien sûr dans le film d’ Alfred Hitchcock, “ Les Oiseaux”.
Quelques années plus tard, la ville dédie un espace à l’intérieur de la caserne au Musée d’histoire naturelle. Tout naturellement j’y amène les groupes de mes ateliers photos pour y faire des images. Et puis, encore bien des années plus tard, nous sommes en 2014, j’y retourne seule, avec un pied photo et mon canon 5D. Il n’y a personne, pas de visiteur, le personnel du musée est occupé par d’autres espaces, je me trouve face à ce silence, à ces enveloppes aux formes animales. C’est à ce moment-là qu’une relation intime s’est créée, l’acte photographique déclencheur de ma relation à ces êtres prisonniers de leurs vitrines.
Encore une fois je trouve un côté surréaliste à la situation, ils sont là mais personne pour les regarder. Leur voyage des réserves au musée n’est qu’un chemin de solitude. Mon processus de création passe toujours par la lumière, que ce soit avec les diapositives traversées par celle du projecteur ou bien le négatif argentique traversé par celle de l’agrandisseur. Il s’agit toujours de faire entrer la lumière.
Pour cette série, la lumière est entrée par Photoshop et Lightroom. Durant le temps de développement numérique, des réflexions sur l’âme des naturalistes m’ont accompagnées. Notre relation au vivant, aux animaux, à la nature questionne notre propre humanité. Pourquoi garder des animaux sans vie? Quel besoin se cache derrière cela? Pourquoi transformer un être vivant en objet de curiosité ou objet décoratif voire objet de collection ou sujet d’étude? Ces réflexions m’ont guidées. Il est clair que mon intention a été de leur donner une deuxième vie, leur rendre hommage. Le processus créatif en guise de résurrection. L’acte photographique comme acte libérateur, d’une certaine manière j’ai réouvert les vitrines.
Aujourd’hui j’ai le sentiment que ce sont eux qui nous regardent. »
Nathalie Sapin
Rencontre publiée en mai 2017
Biographie
Un parcours guidé par la lumière
Née en 1964, Nathalie Sapin ignore les frontières entre les différentes pratiques artistiques, mais a toujours été passionnée par la question de la lumière.
Ayant l’occasion de partir en tournée avec des amis musiciens, elle découvre le métier d’éclairagiste.
A 23 ans, elle rejoint une compagnie de danse où elle propose des conceptions lumière qui intègrent la projection de diapositives faites “maison” à base de pigments, peinture vitrail, gélatines et colle.
A 25 ans, avec la naissance de sa fille, elle arrête les tournées et s’intéresse sérieusement à la photographie. Rapidement, elle installe son studio et expérimente la prise de vue avec ses sujets favoris, les corps, la lumière.
Elle se constitue un book, mais souhaite aller plus loin, et choisit une formation professionnelle en alternance : durant deux ans, elle apprend le métier d’artisan photographe à la chambre des Métiers de Nîmes. Elle va ensuite animer un atelier photo, et conçoit en parallèle une méthode pédagogique individualisée. Pendant plus de dix ans elle transmet le virus photographique à des personnes de tout âge en insertion professionnelle.
En parallèle, elle diffuse ses photographies argentiques sous forme d’installations, et collabore avec des musiciens, comédiens, poètes, danseurs, en France et à l’étranger.
A 42 ans, elle intègre l’EMCAM, école de cinéma à Marseille. Elle glisse alors de la photo à la production de films, puis au spectacle vivant avec le réseau « Hors Lits », des actes artistiques en appartements.
En 2011, elle collabore en tant que directeur artistique à un long métrage de fiction franco-chinois “Cendre”. Elle découvre Hong Kong, Macao, Pékin.
Grâce au logiciel Lightroom, elle retrouve sa passion pour le développement et le goût du traitement numérique. Elle entame de nouvelles recherches photographiques.
Elle rencontre la galeriste Sophie Julien qui lui donne une carte blanche pour exposer la série “Bestiaire” en mars 2016.