Michel Jacucha, Maraussan (34)
De l’éphémère au bronze, une pyromanie singulière
Chaque création de Michel Jacucha possède une matière propre. Les animaux sont mythologiques, inventés, drôles, absurdes, faits de matériaux imbriqués dans la cire avant que l’ensemble ne soit coulé dans le bronze. Ensuite, définitivement libérés de leur gangue, ils émergent et n’en deviennent que plus réels. Rencontre avec un amoureux de la matière.
Michel Jacucha commence par le commencement, sans détour, brut de brut : « J’ai un CAP de chaudronnier. Au tout début, j’ai travaillé dans le secteur industriel, mais inadapté au ‘monde du travail’, j’ai ouvert mon premier atelier de sculpture. C’était en 1984, et depuis, je mets en forme, c’est un peu de la chaudronnerie ! ».
D’abord en banlieue parisienne, puis à Pézenas, l’artiste a maintenant son atelier à Maraussan, dans le Biterrois. Un atelier dans lequel il a tout fabriqué lui-même, que ce soit les fours de cuisson, les fours de fusion, les palans, les établis, etc. Enfant, il aimait déjà faire, bricoler. Aujourd’hui encore, en quête de partage et de résonance, l’artiste n’est heureux que dans la ‘fabrication’, de ses œuvres : « Emporté par le ‘faire’, je découvre le début… un os à ronger, la belle affaire…»
Sur l’établi, un début de créature, mi-poisson, mi-cerf, que l’artiste commence à réaliser patiemment : une armature en fil de fer sur laquelle reposent des lanières de toile de jute, enduites ensuite de manière plus ou moins dense, de cire. Parfois, l’artiste incorpore du raphia, ou d’autres éléments calcinables qu’il laisse deviner par endroit. « J’ai adapté la technique. La cire dite ‘directe’ permet de développer une écriture spécifique au bronze. Je voulais des œuvres qui offrent une vraie matière, qui puissent capter la lumière ».
Autour de cette œuvre en création, tout un bestiaire repose dans l’atelier : des oiseaux, des poissons, des mammifères indéterminés, des ‘maternités’, dont une porte un petit sur son dos. On est plus proche de l’animalité que du monde religieux, mais le titre de l’œuvre et la couronne que porte l’adulte attestent de la volonté de l’artiste de brouiller les frontières. Dans une vasque reposent même une quantité innombrable de petits poissons en bronze plus ou moins reconnaissables : « J’ai mis sous réfractaire des vrais poissons séchés, explique Michel Jacucha. Et ensuite j’ai réalisé les petits bronzes, j’y puise parfois l’inspiration pour d’autres pièces ». L’artiste s’amuse et ne s’en cache pas : « Finalement j’ai une approche instinctive et ludique. Le travail d’atelier touche à l’intime, garant de l’expérience de l’Etre, il modifie les repères et aide à croître. Extraction, transformation, affinage, sont mes maîtres mots, connexes aux thèmes que j’affectionne : bestiaire, émergence de l’homme, et symbolique ».
Ce dernier volet, d’ailleurs, clairement réinterprété, comme cette sculpture d’un homme qui pousse un sac devant lui. Le mythe de Sisyphe poussant son rocher n’est pas loin, sauf qu’ici, le rocher est devenu… « un sac de pognon ! » explique l’artiste.
Posés à côté, quelques livres aux pages de bronze extrêmement fines : « Je coule dans un modèle en négatif tellement fin que cela crée des ‘non venues’, des zones où le bronze n’a pas abreuvé ». Cela donne des pages irrégulières, uniques, comme un livre qui serait déjà passé de main en main. Toutes ces œuvres ont plusieurs points communs : réalisées à la cire ‘directe’ modèle perdu, elles sont ensuite coulées avec un alliage de bronze de bonne qualité (en plus de l’étain et du zinc qui le composent, il doit comporter au moins 80% de cuivre). Ensuite, afin d’éviter de ‘tuer’ le modèle et de garder intacte la peau, un travail de ciselure très restreint, surtout sans polissage sera nécessaire.
Pour révéler les matières, viendra le travail de patine. Palette créative de l’atelier, dûe au travail de recherche, l’artiste varie les couleurs, du noir le plus dense à des verts de gris, voire dorées.
In fine, dans le bronze, les matériaux combustibles, éphémères auront laissé leurs empreintes. Une œuvre qui combine ainsi solidité et fragilité, à l’image de tout ce qui est humain.
A.D.
Rencontre publiée en novembre 2015
Michel Jacucha, est né en 1958, « près du poulailler ». Installé dans l’Hérault depuis 1987, d’abord à Pézenas, puis Sète, aujourd’hui Maraussan.
« A 14 ans, lors d’une porte ouverte du centre d’essais des propulseurs, où travaillait mon père, je suis tombé en admiration devant la forme pure et l’effet de matière produit par le martelage manuel d’un prototype de pièce d’aviation. Ce fût une révélation. J’ai voulu travailler le métal en feuilles. Aujourd’hui encore, aucune césure entre artiste et artisan, je réalise toutes mes mises en œuvre, de la création du modèle en cire directe jusqu’à l’édition en bronze ».
En permanence à la galerie Sophie Julien à Béziers