Région d’Albi, Tarn
Marine Lupercale
La beauté intérieure et organique
Marine Lupercale est photographe, mais elle est également dessinatrice et ne rechigne pas à utiliser les outils graphiques les plus récents.
Son travail mêle photos, dessins traditionnels et images 3D pour des clichés d’où émergent des créatures qui semblent, au sens propre, « plus vraies que nature ».
Marine Lupercale n’est pas médecin, ni microbiologiste. Pas davantage entomologiste, ou spécialiste des greffes. Mais elle aurait pu : le travail de cette artiste qui vit dans le Tarn montre une véritable fascination pour les êtres vivants, que ce soit le corps humain sous toutes ses formes (ses entrailles comme ses visages), ou les insectes ou micro-organismes sans qu’on sache s’ils apparaissent entiers, disséqués, recomposés…
Au départ, un travail de photographe, relativement classique : Marine Lupercale fait des photos, partout où elle va, des portraits, des photos d’animaux, d’objets, de paysages ou de choses vues au microscope. « Les photos sont prises avec une tête panoramique ou un objectif macro, pour les objets pris en intérieur. Ces techniques permettent d’obtenir des images de très grandes dimensions avec un reflex numérique ordinaire, pour aboutir à une impression jet d’encre grand format » explique la photographe qui, après un long travail à partir de ces photos, tirera elle-même ses clichés finaux.
Elle s’empare de ces matériaux, les travaille, y ajoute du dessin, ou des visages réalisés en trois dimensions sur sa tablette graphique pour créer de nouvelles matières organiques, encore plus fascinantes.
Mais si tout est retravaillé, assemblé, imaginé, la réalité de départ n’est jamais loin : les entrailles sont clairement visibles, les organes sont là, les visages, même éclatés, gardent l’apparence d’un visage d’une personne réelle au départ, pas d’une poupée ou d’un personnage imaginaire.
Bref, un monde qui fascine par cet entre-deux. « J’aime faire des expérimentations sur les matières », explique l’artiste qui avoue que, en raison de leur complexité, certaines images peuvent demander un mois de travail.
Pour l’œuvre appelée Montée d’organe, Marine Lupercale a ainsi réalisé un visage en trois dimensions directement sur son ordinateur, avec un logiciel de modélisation 3D, non pas pour pouvoir l’utiliser à plusieurs reprises, mais « pour l’intégrer à une œuvre avec le bon angle et la bonne lumière ».
Au total, cela fait plus de dix ans qu’elle travaille sur cette série axée sur les matières, une série qui doit compter plus de 200 créations, qu’elle n’a pas encore montrées, pour la plupart.
Le travail fascine pour cette capacité qu’a l’artiste de dénicher la beauté là où on ne l’attend pas forcément. Et… malgré ce côté « esthétique » des images, malgré le travail effectué qui masque un peu la crudité et la morbidité premières des viscères et autres boyaux, malgré une partie onirique évidente, malgré le fait qu’il n’y a que très peu de nudités telles qu’on l’entend d’ordinaire, les trois-quarts des images de la photographe ont été censurées sur le site Flickr, comme le site le fait sans doute pour des clichés platement pornographiques. « Depuis, tout est rentré dans l’ordre. Ils ont accepté que je puisse remettre celles où on pouvait apercevoir un bout de sein, mais sous un statut privé ».
L’aventure avec Flickr reste une anecdote, mais elle est révélatrice de l’ambigüité du travail de l’artiste. Le grotesque et le sublime. Victor Hugo aurait sûrement apprécié.
A.D.
Portrait paru en juillet 2016
BIO
Marine Lupercale est née en 1974 et a vécu à Paris, Rouen, Montpellier et Toulouse, mais aussi en Chine et aux Philippines.
Elle est passée par les Beaux-Arts en région parisienne et à Toulouse.
Elle vit et travaille aujourd’hui dans le Tarn, à Aussillon, au pied de la montagne noire. Elle mène de front un travail de graphiste-maquettiste indépendante et son travail de photographe.
Elle a déjà exposé à de nombreuses reprises dans la région, notamment à Toulouse dans le cadre du Festival Manifesto (2013) où elle a été lauréate et à Montpellier, dans le cadre des Boutographies en 2014.
VERBATIM
Hybridations
« Insectes, végétaux, habitants des profondeurs marines, ces vies nous sont indéchiffrables. Pourtant cette prolifération hétéroclite cache une proximité stupéfiante, le foisonnement d’une alchimie génétique unique.
Absurdités, atrocités, répulsions, surprises et enchantements, la nature est un terreau fertile de cauchemars et de rêveries. Composant mes images avec des germes disparates, je tente de faire éclore un paysage mental spéculatif, de construire un nouvel univers fait de collisions et d’amalgames fantasques.
En imagination, je regarde sous la peau, dans les veines, dans la terre, dans l’eau.
Je me glisse dans d’autres corps et perçois avec d’autres sens des formes de vie insolites. J’observe l’inaccessible, l’infiniment petit et le très grand, les mues secrètes, les éclosions, les décompositions. Ballottée par la furie et l’exubérance des univers révélés, je m’abandonne à leurs tourbillons, engloutie dans la fragilité et l’instabilité, avant d’émerger, étourdie de plaisir.
C’est ma manière d’explorer cette altérité paradoxale du monde vivant, notre difficulté à l’habiter, si contradictoire avec la proximité de toute vie, de toute matière organique, avec l’intimité de l’écorce charnue du monde. Voilà mon invitation : aimer la nature autant que la craindre, rêver d’elle et s’y perdre, animal savant, pensant et rêvant, se fondre « dans le monde comme de l’eau dans l’eau ».
Marine Lupercale