Montpellier
Manuel, la peinture silencieuse
A Montpellier, Manuel peint et dessine dans une veine très classique des scènes qui s’apparentent à des natures mortes: tous les éléments sont bien en place, ne bougent pas, sont intemporels et rendus avec virtuosité par le peintre. Sauf qu’ici, les fleurs et fruits laissent à la place à des pantins, des poupées et des êtres vivants qui se mélangent au point qu’on ne sait plus où commence et où finit le vivant.
Manuel est allé au musée d’anatomie de la faculté de médecine de Montpellier, fasciné par ses collections qui comportent un nombre incalculable de bocaux emplis de toutes les difformités humaines. Mais quand il demande s’il peut prendre certaines de ses difformités en photo, on lui refuse ce droit comme on le refuse à tous les visiteurs, précisément parce que ces pieds difformes, ces nouveaux-nés à deux têtes, ces enfants macrocéphales ne peuvent pas devenir des photos anecdotiques destinées à amuser les réseaux sociaux.
Mais un salarié du musée a bien compris que ce n’était pas là l’intention de Manuel. Il lui propose de le suivre, lui indiquant qu’il avait peut-être quelque chose qui l’intéresserait et qu’il pourrait photographier. Les deux hommes empruntent alors des couloirs avant de trouver dans une pièce de cette université un mannequin en cire de siamois, datant du début du XXème siècle, une oeuvre réalisée à partir d’un couple de siamois qui a existé au siècle précédent.
Et voilà comment Manuel a tiré de ce mannequin l’une des oeuvres phares de sa jeune carrière. Une oeuvre où se retrouvent les thèmes qu’il affectionne: le langage des ombres, la dualité, représentée ici par sa forme la plus aiguë, deux esprits dans un même corps.
Comme il le fait pour la plupart de ses tableaux, le sujet sort d’un fond empli d’un noir profond, sans aucun élément de décor qui pourrait dater ou localiser la scène.
Les deux personnalités de ce couple de siamois s’épaulent, au sens propre, chacun tenant l’autre par le bras, solidement appuyés à une espèce de balustrade. Mais si l’attitude est stable, une nuée de papillons à leurs pieds, sur leurs épaules ou accrochés à leurs cheveux se montre plus colorés, plus dynamiques, plus aériens, même s’ils sont plus éphémères que ce couple de siamois qu’on a du mal à trouver vivants.
“Je laisse cela en suspens. Je travaille à l’ancienne, à l’huile avec une superposition de nombreux glacis, cela renforce le côté intemporel. Mais j’essaie de trouver des sujets familiers qui parlent à tous. Des poupées, des automates, des pantins. Des choses finalement assez enfantines mais qui, tirées de leur contexte, peuvent générer des angoisses, car ils brouillent la frontière entre le vivant et l’inerte, entre l’animé et l’inanimé”.
Pour que ses sujets retiennent encore plus l’attention, Manuel a tendance à privilégier les attitudes figées, les absences d’émotions, peignant des personnages stoïques, pris dans leur pensée.
Il aime citer parmi les peintres qui guident son inspiration de grands classiques qui ont tourné autour de la façon de rendre compte au mieux de la figure humaine: Jan Van Eyck, Edvard Munch, Vilhelm Hammershoi, Edouard Manet, Vermeer, Rembrandt, Caravage ou Francis Bacon.
Parfois, l’inspiration de Manuel le mène à des scènes dignes du surréaliste italien Giorgio di Chirico: une ambiance figée, une scène à décrypter comme cette toile, les bateaux, où une femme regarde stoïquement des petits bateaux en papier qui naviguent sur une nappe blanche, pendant que des poissons morts se trouvent enfermés dans un bocal. Là encore, l’élément le plus dynamique de la scène n’est pas la femme (perdue dans ses pensées), n’est certainement pas les poissons (morts et enfermés) mais ses petits bateaux, aux formes variées, à la couleur vive, légers sur cette nappe blanche.
Comme chez di Chirico, l’ambiance vire parfois à la psychanalyse, comme cette scène sans personnage, intitulée Autopsie, mais qui regorge de traces de vivants: un test de Rorschach au mur, signe d’une présence humaine qui se cherche, un coeur dans un bocal, un fauteuil fatigué, une gabardine suspendue. La vie est passée par là, on n’en saura pas plus, mais ces traces de vie ne donnent guère envie de faire partie de cet univers.
Manuel change parfois de technique et privilégie le dessin, là encore avec une grande maîtrise. L’outil change, mais l’univers reste le même: dans la Petite maison, deux objets faits par l’homme, un pantin et une petite maison. Mais les deux objets ne se répondent pas, le pantin, à la physionomie pour une fois très expressive, dominant la petite maison qui paraît du coup totalement absurde. Comme dans ses peintures au fond noir inactif, les deux éléments (et quelques débris sur le sol) sont posés sur le papier sans aucun élément de contexte qui pourrait permettre de situer la scène. La confrontation entre ces deux objets suffit à créer une tension intéressante.
Finalement, Manuel, à sa manière, part du romantisme pour en détourner les codes. Quand Lamartine écrit “Objets inanimés, avez-vous donc une âme ? Qui s’attache à notre âme et la force d’aimer?”, le poète du XIXème affirme la puissance de la nature, le souffle de la vie derrière la puissance d’attraction des objets. Manuel entretient lui aussi la confusion entre l’animé et l’inanimé mais en partant cette fois-ci des êtres vivants, il rend l’interrogation angoissante et sans la séduction du romantisme.
Un parcours autodidacte malgré lui
Né en 1991, Manuel dessine depuis toujours, mais, peu intéressé par les études au secondaire, il est orienté vers des filières courtes qui débouchent rapidement sur un métier. Ce n’est qu’ensuite qu’il décidera de suivre des études d’arts plastiques. Mais son profil ne cadre guère avec ceux qui fréquentent les beaux-arts: après un an aux Beaux-arts de Montpellier, l’école lui refuse le passage en deuxième année. Sa maîtrise évidente du dessin n’y change rien, ce n’est clairement pas ce que recherchent les Beaux-Arts. Il enchaîne malgré tout par un master 2 de pratiques plastiques contemporaines, avec une poignée d’étudiants qui, malgré le mot “pratiques” dans le master, se concentrent sur le sens des oeuvres plus que sur leur réalisation.
Depuis, Manuel ne s’acharne plus sur les études et se concentre sur son oeuvre qui trouve de plus en plus sa place en région, peinture avant tout, mais également graphisme, photo ou vidéo.
Page Instagram: manuelsilentpainting
La page de l’artiste sur Art Majeur