Jean-Marie Solvès, Gard
L’artiste en tête-à-tête avec la figure humaine
Jean-Marie Solvès sculpte ou peint, toujours à la recherche de l’essentiel : pas de superflu chez cet artiste qui cherche à interroger toujours plus la figure humaine. Jusqu’à en faire une quasi-abstraction. Rencontre avec un artiste qui vit au milieu de ses œuvres en terres gardoises.
Depuis plus de vingt ans, Jean-Marie Solvès interroge la figure humaine. A travers des sculptures ou le pinceau à la main. Parfois les personnages sont seuls, d’autres fois ils sont en groupe. Mais la plupart du temps, ils sont dans des poses hiératiques, contemplatives, sans élément permettant de dater ou de situer la scène, sans mouvement. L’être humain, rien que l’être humain, seul, en dehors de toute action, dans de grandes sculptures ou de grandes toiles.
Biographie express
Jean-Marie Solvès a longtemps travaillé au quotidien Le Monde, au service cartographie. Et puis, à 25 ans, il explique à son chef de service qu’il aurait vraiment voulu faire les Beaux-Arts et qu’il ne renonce pas un jour à s’investir totalement dans le secteur artistique. Son responsable lui propose alors de passer à mi-temps pour faire en parallèle une formation aux Beaux-Arts de Paris.
Depuis l’artiste a lâché la presse pour se consacrer entièrement à son œuvre. Il a réalisé entre autre plusieurs œuvres pour le domaine public : c’est ainsi qu’il emporte en 2009 un concours pour réaliser une œuvre en Vendée pour célébrer un haut fait régional, le sauvetage d’une abbesse d’un naufrage.
Plus récemment et cette fois-ci dans la région, Jean-Marie Solvès travaille à une œuvre qui va intégrer le Mémorial de Rivesaltes qu’est en train de construire l’architecte Rudy Ricciotti pour rendre hommage à tous les réfugiés passés par ces lieux.
Si le thème est quasi-unique, les techniques, elles, sont variées et travaillées pour mettre en valeur au maximum la figure centrale. En sculpture, Jean-Marie Solvès a réalisé des œuvres en béton, en bois, en fonte de fer, depuis peu en résine. A chaque fois, la matière est bien présente et impose certains choix. Le fer rouille, au plus grand plaisir de l’artiste ; le béton minéral est ensuite patiné d’acide puis d’huile de lin puis travaillé au chalumeau pour faire ressortir la brillance de la silice…
Parfois, les projets sont monumentaux, comme ces 40 personnages réalisés il y a une vingtaine d’années en béton pour une sculpture intitulée « Territoires », ou cette série composée d’une trentaine de prêtresses réalisées en 2002. « Le gardien de l’invariable milieu », lui, est seul, mais ne passe pas inaperçu : ce personnage hiératique en résine contemple le monde et ses habitants du haut de ses 2,10 mètres. Haut, mais encore parmi les hommes.
Dans toutes ces sculptures, quel que soit le matériau retenu, l’artiste représente des êtres contemplatifs, qui sortent de terre comme l’arbre de ses racines et qui tendent lentement mais sûrement vers les hauteurs. Les formes sont épurées, le sujet ne comprend pas d’éléments anecdotiques, le support est la plupart du temps visible et procure sa propre lumière à l’œuvre, et la palette est le plus souvent réduite à deux ou trois couleurs chaudes. « J’aime que les couleurs se fassent oublier. J’ai par exemple trois variations d’orange, cela suffit. J’aime la variation autour d’un thème comme autour d’une couleur ». Et malgré tout, malgré cette épure à tous les niveaux, l’œuvre se renouvelle en permanence : d’abord parce que Jean-Marie Solvès aime que la matière mette son grain de sel : les empreintes réalisées au goudron ne seront jamais les mêmes d’une toile à l’autre, les drippings ont leur part de hasard, le geste du dessin au fusain reste bien souvent apparent après la mise en couleur. L’artiste, qui aime travailler en extérieur plus que dans son atelier, aime aussi que la rouille puisse imprégner la toile où la sculpture où et quand la nature le décide. Aujourd’hui, l’artiste a entreposé plusieurs œuvres à l’air, dans son jardin, soumise aux aléas du temps, mais cela ne le dérange pas : les créatures ne sont pas abandonnées, elles peuvent au contraire continuer à vivre et à évoluer…
Cela fait plus de vingt ans maintenant que Jean-Marie Solvès creuse ce sillon artistique. Les titres des œuvres en disent long sur ce qu’il cherche à exprimer : son œuvre est emplie de prêtresses, de gardiens, d’anges déchus, d’aveugles, de druides, de guerriers ou de stylites en haut de leurs colonnes. Et quand le titre ne désigne pas un personnage mais un thème, on reste dans une dimension contemplative, voire carrément religieuse : il y a des maternités, des Cènes, des Suaires, des Stabat Mater, …
Ces dernières années, Jean-Marie Solvès a été confronté à de lourds problèmes de santé, lié à une polyarthrite qui l’a contraint à une immobilité totale avant de pouvoir reprendre une activité, malgré des membres affaiblis. Cette épreuve s’est traduite par une évolution de son travail : « Depuis que j’ai des prothèses aux mains et aux genoux, j’avoue que je représente plus volontiers les mains de mes personnages, qui font partie intégrante de leur corps et de leur personnalité ». L’an dernier, il a ainsi exposé au Palais des Rois de Majorque à Perpignan toute une série sur les Aveugles : les personnages, en chemise de nuit blanche, les mains apparentes, faisaient autant penser à des Bouddhas en contemplation qu’à des malades internés d’un hôpital. Une ambigüité qui ne déplaît pas à l’artiste. Et dans l’une des dernières œuvres réalisées, le personnage a les bras croisés, les mains au niveau des épaules. L’une des mains montre du doigt une silhouette fantomatique qui se devine derrière le personnage principal, l’autre est simplement posée sur l’épaule, … mais la main est séparée du poignet, comme sectionnée nette mais toujours présente. Dans une autre œuvre, le personnage a les mains croisées, les yeux baissés, dans une attitude purement contemplative pendant qu’un bras détaché de tout personnage flotte derrière lui, comme une aile de corbeau, sans qu’on sache trop ce que cela peut laisser présager.
Côté technique, c’est aussi en raison de ce handicap qu’il a choisi pendant quelques années de laisser tomber les sculptures monumentales pour réaliser des œuvres de petite dimension, en associant différents matériaux (la terre cuite et le bronze ou la toile de jute). Mais l’esprit est le même : les personnages sont plus petits, mais dans des attitudes toujours de réflexion. Ils sont debout ou assis, revêtus d’une toile de jute enduite qui sert de vêtement universel et intemporel. Depuis peu, il retourne aux sculptures monumentales en utilisant un matériau plus léger que le béton ou le fer : la résine. L’artiste travailla la résine comme il travaillait les autres matériaux : une fois l’œuvre coulée (à partir d’un original en plâtre qui sert à faire le moule), Jean-Marie Solvès revient dessus, incise la matière, y ajoute d’autres matériaux, tranche, coupe, etc.
L’œuvre tourne toujours autour de la figure humaine. Pour des œuvres simples en apparence mais qui sont en fait le fruit d’un travail de longue haleine et sans cesse renouvelé.
Rencontre publiée en mars 2015
Elévation, révélation
Jean-Michel Solvès dépouille l’existence. A l’inverse de l’essentiel des plasticiens occidentaux modernes ou contemporains, qui dissimulent leur angoisse du vide –du vivre- en accumulant de la matière jusqu’à constituer une entité apparemment charnelle mais entièrement illusoire, cet artiste procède par enlèvement. Il dilue les couleurs, épure les lignes, synthétise les formes, jusqu’à ce qu’une présence lumineuse s’impose. Fondamentalement spirituelle.
Graphiques et nimbés, immobiles mais intenses, les êtres qui apparaissent ainsi ne semblent pas dépenser d’énergie. Au contraire, ils en diffusent, semblant la puiser au plus profond d’eux-mêmes. Comme si l’histoire de toutes les humanités s’y trouvait, déposée, assagie, décantée, filtrée.
Tels les flammes d’une veilleuse, les têtes et les membres des êtres représentés évoquent la possibilité d’une persistance puissante et transmissible de l’esprit à travers les existences et par delà les épreuves, que les couleurs atmosphériques et les matières telluriques mises en scène stigmatisent finement.
Chacun de ces veilleurs, éveilleurs et émerveilleurs semble un volcan à l’état de veille persistant. Ses lèvres en mandorle, comme le col de son vêtement, constituent des allégories du passage protégé, du secret préservé. Frères des idoles cycladiques, des profils pharaoniques, des bouddhas primitifs, les habitants androgynes de la planète Solvès nous invitent à l’élévation. Et à la révélation.
Françoise Monnin, rédactrice en chef d’ARTENSION
Paris, décembre 2015.
L’expression « veilleur, éveilleur et émerveilleur » est empruntée à l’écrivain Gérard Barrière (1948-2010).