Jean-Jacques Abdallah, Arras-en-Lavedan (65)
Les Pyrénées, dans et par la pierre
Jean-Jacques Abdallah est né au milieu des chevaux dans les Hautes-Pyrénées. Cinquante ans après, il cherche toujours à renouveler son regard sur le bestiaire de sa montagne d’origine, en utilisant les pierres que lui procure le massif.
Le taureau sort presque entièrement de sa gangue de marbre. Il avance, prêt à partir où bon lui semble; Le deuxième et un peu plus retenu par la pierre, le troisième, lui, a clairement du mal à s’extraire du granit. “Et s’il y en avait un un quatrième, précise le sculpteur, il n’y aurait eu que le bloc brut, et vierge”. Le sculpteur revient toujours à son matériau de base, la pierre dure des Pyrénées. Et l’animal, lui, reste lié à la pierre qui l’a vu naître.
Même chose avec un aigle, un bouquetin ou un ours.
“Je travaille avant tout les pierres dures, marbre et granit” précise le sculpteur Jean-Jacques Abdallah, qui met en avant le matériau dans la plupart de ses oeuvres. Il reprend ainsi la manière de sculpteurs pour qui il était important de montrer que l’oeuvre sortait de la matière. L’idée n’est pas de donner un sentiment d’inachevé, mais de bien allier dans une même réalisation la dureté et l’aspect massif de la pierre à la vivacité et la rondeur de l’animal.
“Je viens d’un milieu paysan, c’est peut-être pour cela que j’aime bien travailler un bestiaire assez lié aux Pyrénées: les ours, bouquetins, chiens, etc. Ce sont les bêtes de chez moi, même si je ne réduis pas tout à cela”.
Progressivement, le sculpteur a fait évoluer son travail: “Plus cela va, plus je vais aux formes essentielles, je rentre moins dans le détail, ce qui n’est pas nécessairement plus facile: avec peu, il faut tout dire”.
Pour chaque pièce, le même rituel: Jean-Jacques Abdallah commence par une recherche en dessin, puisse passe à une maquette en terre qui permet d’aborder le volume. “C’est fondamental quand ensuite, vous êtes sur une technique de retrait, qui n’autorise aucun coup de taille en trop”.
L’artiste travaille aujourd’hui principalement à la disqueuse, que ce soit sur les pierres dures (granit ou marbre), ou, pour des performances sur du bois, voire de la glace.
En dehors du bestiaire, Jean-Jacques Abdallah s’aventure parfois dans des territoires plus abstraits, où il peut alors improviser en cours de réalisation. Les formes sont plus épurées, parfois plus géométriques, y compris quand il s’agit d’évoquer des personnages ou des animaux (les cornes du bouquetin sont de simples volutes, les bras du violoncelliste une suite de parallélépipèdes).
Dans tous les cas, il préfère les marbres blancs, noirs ou gris, aux marbres colorés: « quand vous avez un marbre coloré avec beaucoup de marbrures, vous voyez le marbre avant la sculpture ». L’artiste va même encore plus loin pour que le matériau ne lui dicte pas sa création: pour éviter de se laisser guider par l’apparence extérieure de la pierre, l’artiste s’impose de ne travailler que sur des blocs déjà taillés et comportant six faces (cubes ou toute sorte d’hexagone).
Ce qui compte avant tout, c’est d’extraire quelque chose de la matière. D’ailleurs Jean-Jacques Abdallah ne se définit pas nécessairement comme artiste. Artiste, artisan d’art, sculpteur, tailleur de pierre. Peu importe. Ce qui compte, c’est le contact avec le matériau et l’inspiration engendrée par un bloc de pierre, de bois, de glace.
Pour autant, l’artiste aime aussi se confronter à ses semblables; Pendant quatre ans, Jean-Jacques Abdallah a organisé les rencontres de la pierre dans son village d’Arras-en-Lavedan: avec le maire du précédent mandat, Elie Pucheu, la commune était fortement engagée dans l’opération, puisqu’elle se portait acquéreur des pièces réalisées sur place par l’artiste et la quinzaine de sculpteurs invités. Une manifestation d’une ampleur considérable pour un village de 500 habitants.
ACTU
Aujourd’hui, l’artiste a trois commandes importantes de communes des hautes-Pyrénées et des Pyrénées Atlantiques. L’une lui a demandé de réaliser un loup, qui viendra alimenter en eau la fontaine du village; une deuxième lui a demandé de réaliser un monument aux morts qui doit évidemment être prêt pour novembre 2018, pendant qu’une association de Lourdes (à 15 km de l’atelier du sculpteur) lui a demandé une vierge à faire en bas-relief, mais d’une hauteur considérable (deux mètres).
Résultat, aujourd’hui, le maire actuel a pu faire un sentier artistique contemporain, grâce aux bases apportées par les oeuvres des Rencontres de la pierre.
Jean-Jacques Abdallah aime aussi parfois travailler avec des artistes de son entourage, possédant d’autres compétences que la sienne. C’est ainsi qu’il a réalisé une pièce avec la verrière Françoise Gourvès, installée dans la même commune. « On a bu un café un matin comme souvent, et avons décidé de créer une oeuvre ensemble sur le thème du rugby, sans que cela ne soit trop explicite. On a donc fait une forme générale, rappelant le ballon de rugby, mais suffisamment allusive pour qu’elle parle aussi à ceux qui ne sont pas des passionnés de ce sport. Nous avons aussi développé des pièces de mobilier, notamment des tables: je faisais l’empiètement et cherchais la solution pour intégrer un plateau en vitrail fait par Françoise ».
Aujourd’hui, son travail jouit d’une belle notoriété, ce qui lui a permis de réaliser plusieurs oeuvres pour des communes qui trouvaient que son oeuvre était en résonance avec les lieux. Et les commandes vont encore occuper l’artiste dans les mois qui viennent…
A.D.
Article paru en juillet 2018
BIO
Jean-Jacques Abdallah a étudié à l’école d’art de Tarbes pendant trois ans. « J’y suis rentré pour travailler le bois, mais j’y ai appris à travailler la pierre dure. Et puis, j’ai enchaîné avec le service militaire où j’ai eu la chance de pouvoir le faire en tant que sculpteur: je sculptais les emblèmes des casernes, etc, ce qui m’a permis de garder le contact avec le matériau. En sortant, je suis rentré dans un atelier de taille de pierre-marbrerie, à Argelès-Gazost, près de Lourdes. J’ai ensuite repris l’atelier avec un collègue et on l’a tenu pendant dix ans, à faire essentiellement des choses utilitaires (mobilier, fontaine) ou purement décorative. En 1995, j’ai pu monter mon atelier et commencé à réaliser des pièces plus personnelles”.