En hommage au pastelliste Albert Masri, qui vient de disparaître
En hommage à Albert Masri, qui vient de nous quitter à 93 ans, nous publions la rencontre avec l’artiste, parue en 2014 dans le magazine Art dans l’Air, article co-rédigé par Camille Costa et Anne Devailly.
Montferrier-sur-Lez
Le pastelliste Albert Masri
Venu du Caire, Albert Masri est allé se jucher sur les hauteurs de Montferrier et guette les paysages qui dessinent la région. Peintre, sculpteur, céramiste, graveur, dessinateur, mais avant tout pastelliste, rencontre avec un artiste aux multiples facettes.
Tout en haut du village, une petite maison parvient à se faire remarquer : non par sa taille, mais par ses claustras, ses mosaïques, ses inscriptions gravées dans le ciment. C’est ici que niche depuis des décennies Albert Masri.
A l’intérieur, des œuvres. Des œuvres partout, dans les moindres recoins. Tableaux, sculptures, collages, céramiques, dessins laissent à peine la place pour se déplacer et gravir les escaliers de cette maison tout en hauteur.
Albert Masri aime la matière. Il aime les couleurs aussi. Né en Egypte (en 1927), l’artiste a pourtant choisi une autre voie à son arrivée en France : en grande partie pour faire plaisir à sa mère et pour pouvoir venir en France, il se lance pendant trois ans dans des études de médecine sans jamais abandonner en parallèle son goût pour le dessin qui le tenaille depuis l’enfance.. Sa curiosité pour les divers moyens d’expression le pousse à s’essayer à différentes techniques, mais c’est avec le pastel qu’il finit par exprimer pleinement ses sentiments.
Parfois considéré comme peintre de paysage urbain, dans une tradition liée à Canaletto ou Pissarro, il est avant tout reconnu comme étant le « rénovateur du pastel ». Technique apprise par hasard, lorsqu’il était encore en Egypte chez les jésuites, et qui devient la signature de l’artiste. Une technique qui reste sans doute la moins répandue chez les artistes contemporains et qui implique plusieurs contraintes :
Les bâtons de craie sont très friables : il faut donc travailler à plat. Les couleurs ne se mélangent pas aussi facilement qu’avec des huiles ou des acryliques : les repentirs sont donc quasiment impossibles.
L’artiste en a tiré les conséquences en optant pour des méthodes de travail rigoureuses : il travaille sur des papiers à grain de grande taille qu’il pose à plat, au milieu de son atelier. Au préalable, il procède à une construction mentale précise de l’image après s’être bien imprégné des lieux en extérieur : « Vous comprenez, jusqu’au XIXè, les peintres de paysage peignaient en atelier, et leurs œuvres manquaient parfois de la vie qu’on peut trouver quand on est sur le motif. Les impressionnistes, eux, posaient leur chevalet dans la nature. Leur œuvre est pleine de vie, mais manquent à l’inverse parfois de construction. Au XXè, on a essayé de prendre le meilleur des deux : un travail sur le vif, mais charpenté, construit ensuite en atelier ».
Le bassin méditerranéen, la vie quotidienne, les villes, les villages mais encore les marines, les nus ou les bouquets, nourrissent son œuvre. Détails décoratifs rappelant ses origines sont aussi régulièrement présents. Restant toujours dans le figuratif, il en simplifie néanmoins les formes et les couleurs et s’emploie à une stylisation hardie, dans des harmonies de couleur toujours très travaillées : chaque tableau a sa tonalité principale et toutes les autres couleurs sont comme des instruments autour d’un chef d’orchestre. C’est sans doute pour cela que ses œuvres ont quelque chose de musical : elles s’offrent comme un hymne à la joie symbolisé par ces dialogues de symphonies colorées.
« Je ne cherche pas seulement le sentiment de la couleur, mais la couleur du sentiment », précise le peintre. Et pour cela, « le peintre ne dispose que de trois mots : le bleu, le jaune et le rouge, à la différence du poète qui en a des milliers ! ».
Texte publié en 2014 dans Art dans l’Air, co-rédigé par Camille Costa et Anne Devailly.