Hérault
Tim Bickerton, Memory maps ou l’empilement des souvenirs
Tim Bickerton a eu plusieurs vies.
Ce Britannique, installé dans le Lot il y a une vingtaine d’années, puis dans l’Hérault aujourd’hui, fait appel à tous ces morceaux de vie pour construire des toiles qui fonctionnent comme des “cartes du souvenir”: Memory maps.
Tim Bickerton est né en Angleterre, a fait des études artistiques là-bas, a ensuite travaillé dans les décors pour le théâtre et la télévision, avant de passer à la scénographie pour des musées en Europe et en Afrique. Dans les années 90, il s’installe dans le sud de la France, d’abord dans la campagne autour de Cahors (avant de rejoindre aujourd’hui Béziers) et se concentre davantage sur son travail. mais en aucun cas, il ne s’agit d’une rupture, bien au contraire: ses dernières toiles montrent que par le pinceau, l’artiste essaie de proposer une vision synthétique de ce parcours riche en effets visuels et en expériences différentes.
« J’empile les souvenirs, traces visuelles dont la combinaison donne à voir l’homme que je suis devenu au fil du temps. Chaque tableau est autonome tout en s’insérant dans une histoire. Certaines images sont redondantes. Peintre de ce que je considère comme des paysages, j’ai ressenti le besoin de créer quelque chose de plus personnel, de plus introspectif”.
De fait, les titres des toiles montrent un lien évident avec le parcours de vie de l’artiste: I came to a place where it was real; Some sort of stupid ritual; etc.
Mais ces mots disent juste que cette peinture est effectivement introspective. Elle n’en donne pas plus de clé et cela n’est pas nécessaire: reste des impressions liées à la palette: les jaunes, orange et bleus semblent signer l’intégration à un Sud méditerranéen, mais cela est vite compensé par des oeuvres où dominent un noir et blanc plus interrogateur, et des évocations de choses qui ne viennent ni d’Angleterre, son pays natal, ni de la France méditerranéenne, ses terres d’adoption. Des restes de voyage dans des contrées plus lointaines comme l’Egypte ou l’Inde ; des fragments de discours: des esquisses de montagnes, des grilles qui semblent indiquer une réelle difficulté à s’intégrer dans ces nouveaux paysages, des labyrinthes dont on ne voit pas la fin, etc.
“Surgies du passé, les images du bonheur familial sont recouvertes ici d’une patine plus sombre. Toutes sont le reflet de notre vulnérabilité, couplée à notre instinct de survie. »
Les toiles donnent aussi l’impression d’une grande spontanéité, d’un pinceau venu de manière quasi-irréfléchie se poser sur la toile: « Ces derniers temps ma mémoire travaille dans l’urgence, un peu comme un photojournaliste”.
Et tout comme l’artiste a peint ses toiles de manière rapides, il faut, devant ces toiles, rester soi-même dans la spontanéité d’un premier regard sans accorder de symboles trop forts ou trop universels à ce que l’on voit. Un exemple? L’artiste aime avoir recours à la feuille d’or ou d’argent, ce n’est pas pour autant qu’il anoblit quoi que ce soit, ou qu’il fige le passé dans un souvenir éternel : “Pour moi, ces feuilles renvoient aussi bien au sacré des icônes qu’à la trivialité du papier peint métallisé de mon enfance”.
De manière générale, l’artiste se penche sur son passé sans aucune concession ou nostalgie: “Au fur et à mesure que je prends de l’âge, je remets plus facilement mes choix en question, et j’ai tendance à me méfier de mes souvenirs. Me reviennent en mémoire des situations plus ambiguës qu’il n’y paraissait sur le moment, avec ce sentiment d’être exposé sans toujours très bien comprendre la scène que j’avais sous les yeux. Et puis, la mémoire est trompeuse aussi. Si quelque chose du passé me revient alors que je suis immergé dans le présent, je me doute bien qu’il a pu y avoir une élaboration secondaire en chemin, mais au fond peu importe! Ce qui compte, c’est le cœur de la mémoire.
Pour l’artiste, les évocations intégrées à ces toiles-coeur d’artichaut sont nombreuses et très précises:
“Richard et moi, bricolant un radeau dans son garage avec des vieux bidons de pétrole et des chutes de bois. Des fans de soul, en chapeaux mous et manteaux trois-quarts, écoutant l’oncle Bill au piano dans un pub de Codsall lors d’une soirée Jazz. En haut du mont Tryfan, je serre contre moi un John à la limite de l’hypothermie. Mémé Green, la femme qui me vend des cigarettes Player’s à l’unité, disant que ça porte bonheur d’être le premier à faire le tour de sa maison le jour de l’An. L’oncle Jack racontant comment il a perdu un œil lorsqu’il a été éjecté du cockpit de son Typhoon. Des égyptiens en gandouras immaculées formant un cercle cérémoniel en plein milieu du souk tandis qu’un officiant les arrose de parfum. Un touriste japonais exhibant un portable à peine plus épais qu’une carte de crédit. Des Nubiens s’activant autour de bateaux ornés de dessins enfantins — sportswear et électronique surtout — dont ils débarquent la cargaison de ballots de chanvre et de caisses oblongues dans un pick-up garé sur le quai”.
Evidemment, tout cela échappe à celui qui regarde. Mais rien de dramatique: plus que les souvenirs pris un par un, ce qu’ils signifient, de quand ils datent, où était le peintre à ce moment-là, etc etc, ce qui compte ici, c’est l’empilement des uns et des autres, le tout créant une nouvelle trace visuelle “dont la combinaison donne à voir l’homme que je suis devenu au fil du temps”.
“J’ai beaucoup travaillé pour le théâtre, et cela a forgé mon sens de l’espace. Lorsqu’on me demandait de créer des décors pour un plateau, je le faisais toujours en artiste, pas en scénographe. Ici, les images émergent d’une structure de vitrail, technique apprise lors de mon premier séjour en France. Les plombs des vitraux rappellent les sinuosités d’une carte. En route pour le souvenir donc, mais attention ! Toutes les cartes ne sont pas des cartes du « Tendre » non plus. Et malgré leur précision et leur apparente neutralité, encore faut-il pouvoir les lire. Mettez une carte sous les yeux d’un groupe ou d’une famille et vous verrez que chacun l’interprète à sa manière : le faux sens n’est jamais loin”.
Faux sens revendiqué par l’artiste: faux sens pour lui qui sait que la mémoire peut lui jouer des tours; faux sens pour celui qui regarde, et qui ne peut évidemment pas voir ce qui a mis Tim Bickerton, mais tout autre chose. Et c’est très bien ainsi.
L’artiste
Né le 19/3/1956 à Codsall, Shropshire , Royaume-Uni. Etudes au Wolverhampton Art College.
Licence en sculpture et gravure à Sheffield Art School. Diplômé en 1978.
Entre 1978 et 1999, travaille en décorateur ou scénographes pour des théâtres en Grande-Bretagne, et pour la télévision.
Dans les années 90, déménage en France et travaille comme directeur artistique pour de nombreux projets au Royaume-Uni et à l’étranger, notamment le musée James Herriot, le musée de la pêche à Grimsby, le musée nubien à Assouan, en Égypte. A commencé à revenir à la production de sa propre sculpture et peinture.
A partir de 1995, nombreuses expositions, principalement dans le Sud de la France où il s’est installé.
ACTUALITE
Tim Bickerton, Memory maps
Du 12 janvier au 3 février 2019
Chapelle du Quartier-haut, Sète