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RENCONTRE AVEC … Runeda

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RENCONTRE AVEC … Runeda

La technique photographique au service d’un art global

 

Pour qualifier les oeuvres de Runeda, mieux vaut les termes de toiles ou tableaux que celui de photos. Car l’artiste pratique un art narratif où l’appareil photo n’est là que pour immortaliser des scènes imaginées avant, qui intègrent bien souvent peintures ou sculptures. De l’art de brouiller les frontières.

En musique, on a souvent tendance à placer l’opéra à part, comme le creuset qui peut concentrer tous les autres arts musicaux: le chant, l’instrument, la musique symphonique, auquel on rajoute évidemment la dimension narrative et celle des arts de la scène: décors, costumes, etc.

Le travail de Runeda est un peu aux arts plastiques ce que l’opéra est à la musique. Ses séries incluent sculptures, peintures, acteurs, dans des décors imaginés et dessinés avant d’être photographiés, le tout au service d’une dimension narrative qui est le point de départ de l’ensemble. Il y ajoute non pas une dimension performance mais un making of qui fait partie intégrante de son travail.

Il ressort de ce travail des scènes intemporelles et insolites, qui sont difficiles à définir: la technique photo est bien sûr là, mais elle se double d’ajouts plastiques évidents, que ce soit dans les créations présentes à l’image ou dans les ajouts de textures, de matières rajoutées par effets numériques, même s’ils font entrer la scène dans un passé indéfini. Au final, des oeuvres qui font davantage penser à certaines écoles de peinture, la peinture flamande notamment, qu’à d’autres photographes.

Série “L’enveloppe” (Moi–Peau, chapitre 1)

Tout commence par un storyboard.
“La plupart du temps, j’ai une idée de scène et je cherche ensuite les lieux qui pourraient correspondre. Pour la série Moi-peau par exemple, j’ai déjà réalisé les dessins du troisième chapitre, mais je n’ai pas encore trouvé les lieux correspondants”.

Pour cette série commencée en 2016 et qui sera au mieux achevée en 2021, les choses sont claires pour l’artiste mais prendront le temps qu’il faut. Elle doit se décliner en trois chapitres dont deux sont a priori achevés, 1. L’enveloppe, 2. Les frontières et 3. Le lien.

Chacun des chapitres est à son tour constitué d’un nombre d’images différentes. La première comprend 22 photos de dimensions variables et 22 poèmes. Le fil passant de l’une à l’autre existe, sans pour autant constituer un “roman photo” clairement narratif.

Premier regard global: un personnage vit des scènes étonnantes, avec ses proches, dans des lieux différents mais qui tous apportent avec eux leurs propres histoires. Clairement, cet homme est relié aux autres et aux choses, peut-être même trop, au point que tout cela lui “colle à la peau”.

“Je suis très nostalgique à la base, explique Runeda. Cela se ressent sans doute dans mon travail”.

Deuxième regard: pour chaque image, les références sont légion: chacune appartient à une série qui a un titre, dans un chapitre précis lui aussi titré, elle a elle-même son propre titre. Trois références de textes, auxquelles il faut rajouter parfois les jeux de mots qui se cachent dans ces titres (“la mise en maux” par exemple) et une dimension historique parfois en filigrane.

Dans le premier chapitre, l’Enveloppe, les 22 tableaux peuvent ainsi se lire comme un temps d’attente, d’incertitude, suivi par un temps où les messages arrivent, par lettres qui tombent du ciel ou par messager à la grille. Ses messages annoncent le conflit, la guerre arrive, qui s’achève sur une espèce de renouveau dans des tons plus clairs. Toutes sont travaillées avec des textures qui se superposent au motif principal, comme s’il fallait d’abord peler une première peau pour y accéder.

Mais l’artiste tisse ces éléments narratifs avec des visions oniriques qui brouillent évidemment les cartes. On a à la fois les soldats inconnus et les blessures invisibles qui renvoient évidemment au premier conflit mondial, dans des images travaillées pour sembler appartenir à cette époque. Et des masques, des personnages grillagés, des amphithéâtres qui apportent la dimension spectacle de ce qui se joue dans ses 22 tableaux, termes qui semblent décidément plus adaptés au travail de Runeda que celui de “photographie”.

“Je trouve que la continuité qu’apporte le travail par séries est vraiment importante aujourd’hui, dans notre monde saturé d’images. Cela permet de redonner un sens, en reliant ces visions les unes aux autres”.

Et pour certaines de ces créations, Runeda propose une mise en abyme particulière par le biais du “making of”. Il ne s’agit pas de dévoiler la technique, mais de montrer comment  l’artiste utilise toutes les ressources d’un lieu insolite pour enrichir sa série. C’est particulièrement le cas dans la vidéo concernant la tisseuse de réalités qui montre vraiment la symbiose entre des apports extérieurs et un regard qui sait très bien où il veut aller.

Dans la plupart de ces tableaux, des personnages, un en particulier: Runeda lui-même. “Là, franchement, il ne faut pas chercher trop loin: c’est moi par facilité, pas par narcissisme. J’aimerai avoir un modèle, mais comme je travaille sur la durée, ce serait compliqué”.
Etant devenu son propre modèle, dans des oeuvres qui cherchent souvent un ancrage dans le passé, l’artiste avoue bien volontiers en avoir tiré une conséquence: il cultive son look avec cette barbe imposante qui mange le visage et les années.

Dans chacune de ses séries, Runeda joue ainsi avec les époques, choisissant des éléments qui s’ingèrent à un passé révolu, ou qui jouent au contraire les anachronismes (assez rares). Il y rajoute des superpositions, allant parfois jusqu’à la fusion des motifs.
Dans Naturellement homme, le personnage fait littéralement corps avec les arbres dans certaines images, pendant que dans d’autres il semble crier son désespoir. La volonté de retrouver le lien est présente, mais la difficulté à y parvenir ne peut être masquée.

Anne Devailly

Bio

Né en 1982, installé dans les Cévennes gardoises, Runeda développe son écriture photographique autour du fondu enchaîné. De la surimpression (argentique ou numérique) à la superposition d’images pour donner la sensation d’une épaisseur picturale.

Il constitue au fil des années une sorte de récit visuel poétique et n’hésite pas à dévoiler les coulisses de ses mises en scène lors des prises de vue, dans des vidéos qui font partie intégrante de son travail.





 

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