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RENCONTRE AVEC… Raphaël Bouyer

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Raphaël Bouyer, Haute-Garonne

Le quotidien, envers et contre tout

 

Raphaël Bouyer peint des scènes qui laissent perplexes : des personnages aux tenues antinucléaires qui s’adonnent à des activités clairement en décalage avec leur environnement, ou des « jeunes à capuche », qui prennent leur distance avec la société. Le malaise est là, même si on est plus dans un monde absurde que dans un univers futuriste inquiétant.

La première chose qui frappe dans la peinture de Raphaël Bouyer, c’est la palette : une palette aux couleurs froides assumées. Même pour les scènes en extérieur, le jeune peintre ignore le soleil. Tout baigne dans des tons violacés peu engageants.

Au premier regard, on se dit que cette palette correspond à ses thèmes : l’ambiance de fin du monde, de catastrophe (arrivée ou à venir)  est confirmée par les tenues NBC des personnages, et par quelques détails : les recherches génétiques des industriels dans le champ de maïs, la pollution qui fait disparaître la ville, …
Bref, Raphaël Bouyer, à 25 ans tout juste, réalise une œuvre qui, par ses thèmes et son atmosphère, semble parfaitement en phase avec sa génération.

Et puis on s’attarde un peu plus sur les toiles. Certes, le soleil a l’air d’avoir définitivement disparu. Certes, les personnages disparaissent sous leur tenue NBC (ou sous les sweats à capuche). Mais ils continuent néanmoins de pratiquer des activités qui s’apparentent à du loisir : dans la série « Ordinary life », deux hommes passent le temps dans la barque à pêcher à la ligne. Ils ont certes des tenues anti-nucléaires, mais ils n’ont pas l’air pour autant de pratiquer des prélèvements. Non, ils arborent cette tenue mais cela ne les empêche pas, contre toute attente, de continuer à apprécier le quotidien.
Un autre exemple avec No smoking ou The magenta monks : dans le premier cas, l’homme porte son masque à gaz, mais d’une manière ou d’une autre, il parvient quand même à se fumer une cigarette… La peur des gaz ne va pas jusqu’à l’impossibilité ou la perte d’envie d’en griller une petite…

Quant aux magenta monks, leur tenue est certes magenta et pas safran comme ce devrait être le cas, mais à part cela, ils sont dans la même position que les moines bouddhistes qu’on peut croiser en Thaïlande et s’adonnent à cette même activité : la méditation. Et, malgré un environnement pour le moins peu engageant, les voilà qui semblent léviter, comme s’ils étaient au summum du bien-être.

La catastrophe nucléaire a peut-être eu lieu, qui sait, mais finalement peu importe : chez Raphaël Bouyer, le quotidien a repris le dessus, bon gré mal gré. 0n est plus dans un univers kafkaïen où, après l’angoisse des premières pages, saute aux yeux l’humour de l’écrivain.

Et le regard évolue de la même manière quand l’artiste renverse son point de vue : dans la série Les Divergents, c’est finalement l’exact opposé des premières toiles : les jeunes représentés sont habillés comme n’importe quel jeune d’aujourd’hui, autrement dit vêtus d’un jean et d’un sweat à capuche… mais ils refusent au contraire d’entrer dans le quotidien d’une société dans laquelle ils ne se reconnaissent pas.  Cette fois-ci, l’artiste ne propose pas un futur post-nucléaire, mais davantage notre monde actuel, avec des personnages qui se désolidarisent de cette société. Ils sont souvent dans des postures étranges, comme s’ils se mettaient en retrait volontaire de cette société.

« J’aime mettre en scène ce personnage, qui a clairement une allure urbaine. Généralement, avant de réaliser une toile, je me documente beaucoup sur ce qui se passe sur la planète, je regarde beaucoup de photos. Pour les décors, ce sont souvent des choses inspirées de photos de villes asiatiques, notamment les villes chinoises, sous leur halo de pollution ».

C’est ainsi une photo de ville chinoise qui a permis à l’artiste de peindre quelques immeubles en arrière-plan dans le tableau intitulé La part des anges…
Noyées dans un nuage de fumée, cette ville ne domine plus que par ses deux tours les plus hautes… Réminiscence du World Trade Center ? La scène concentre ici à la fois la tragédie américaine d’il y a quinze ans, et la situation dramatique de la pollution urbaine subie par les millions de Chinois. Et les jeunes à capuche contemplent le désastre, les pieds dans un magma indéterminé qui peut être au choix des vaguelettes ou des immondices. Seule note d’espoir : quelques oiseaux continuent à voler… comme on peut en voir au-dessus des décharges.

Si La part des anges est réellement désespérante (à part son titre ?), l’ambiguïté et l’humour reviennent dans d’autres toiles de la série.

Dans Running Damage, un autre « jeune à capuche » court, en bord d’un champ de maïs OGM (c’est écrit !). Il court, tranquillement : certes, l’environnement est devenu tellement néfaste qu’il semble déjà n’avoir plus de tête. Mais malgré tout, il court tranquillement : là encore, on peut interpréter ce tableau avec l’humour que Raphaël Bouyer sait y mettre : la campagne est ravagée, mais le quotidien continue, et le jeune fait son jogging, indifférent au monde qui l’entoure… « Dans toute cette série, qui s’intitule « Dénaturation », l’idée était de montrer que l’homme en même temps, côtoie la « dénaturation » et y participe, en s’en accomodant ou en l’accentuant », précise le peintre.
A 25 ans, Raphaël Bouyer a trouvé comment réinterpréter un univers propre à sa génération.

A.D.

Bio

Peintre toulousain. Raphaël Bouyer est passé par une formation arts plastiques à la fac, mais a toujours dessiné ou peint depuis son adolescence.
Aujourd’hui, sa peinture commence à être reconnue. Il a été sélectionné pour Mac Paris qui s’est tenu fin 2016 à Paris. « Une sélection qui ne se fait qu’après une visite à l’atelier », précise l’artiste.
Il peint à l’huile dans son garage. Il aimerait passer à des formats plus grands, mais attend pour cela de s’installer dans un atelier plus spacieux.

Rencontre publiée en mars 2017

Site web de l’artiste

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