Gene Barbe, Caunes-Minervois (11)
Des figures qui se fondent dans le paysage
Installé depuis trois ans dans les Montagnes Noires du Minervois, le londonien Gene Barbe peint aujourd’hui des personnages qui se laissent volontiers envahir par les couleurs et formes de sa nouvelle région d’adoption.
Gene Barbe prend un pinceau, de la couleur et attaque la toile. Pas de dessin préalable, et, parfois, pas davantage d’idée précise sur ce qui va advenir. Mais assez vite, des lignes directrices se dégagent, soit par l’émergence d’un motif (le plus souvent une présence vivante) soit par un équilibre de formes, une couleur, une matière qui permet de poursuivre naturellement sur les quelques traits lancés au départ.
Dans son atelier du village de Caunes-Minervois, l’artiste se laisse guider tout en sachant parfaitement que son œuvre actuelle est imbibée du monde proche et lointain, languedocien depuis trois ans. Quand il montre par exemple Possibly Together, sous-titré « Time on a train », il parle immédiatement de ses voyages en train qu’il fait souvent, et notamment celui entre Carcassonne et Montpellier, en passant par les paysages de bord de mer sétois.
Sur la toile, de grand format, les personnages sont assis, immobiles. L’un regarde à travers la vitre, pendant que l’autre semble assoupi, tous deux au centre d’une mosaïque de fragments de paysages qui apparaissent derrière la vitre, mais qui ont aussi envahi l’ensemble de la toile.
Gene Barbe ne représente pas le mouvement physique du paysage qui défile, mais plutôt le paysage mental qui envahit le passager, qui doit retenir un fragment de « choses vues » ici ou là.
Il en reste des formes, une gamme de couleurs, une atmosphère. Et pour intégrer encore davantage son quotidien minervois, l’artiste aime intégrer à ses toiles des traces de couleurs prises dans les vieux pots de peinture utilitaire qu’il récupère auprès des habitants du village. Les peintures existant dans l’histoire de Caunes se retrouvent ainsi fondues dans un paysage mental d’un des derniers habitants du village.
Ces figures, à peine esquissées, juste dotées de quelques traits pour qu’on les aperçoive, reviennent souvent dans d’autres toiles, généralement en position statique et cherchant simplement à être en harmonie avec leur environnement.
Dans Listen, sous-titré last dance revisited, le couple s’enlace dans une confusion douce et assumée, avec un doute généreux, par amalgame d’amour.
« Avant, j’essayais de peindre de manière beaucoup plus précise, notamment les visages, mais cela ferme l’histoire. Aujourd’hui, j’ai envie de tendre vers un rapprochement féminin-masculin, sans que cela prenne non plus des allures trop romantiques. Ce qui m’intéresse, c’est la présence vivante, le lien, l’interrogation».
Dans cette œuvre, le fond est moins dense que dans Time on a train, car le paysage a ici moins d’importance que la fusion entre les deux individus. Malgré tout, le paysage et les personnages restent imbriqués, comme si féminin-masculin, mais également intérieur-extérieur, personne-nature, tous ces couples ne pouvaient apparaître que dans une fusion roborative. Dans le détail de ces harmonies colorées, Gene Barbe dessine ou grave dans la couleur des oiseaux, des fleurs, parfois même des mots.
Les personnages de l’artiste sont donc esquissés et ouverts aux influences du monde mais contrairement aux silhouettes d’un autre peintre britannique, Francis Bacon, ils sont plutôt apaisants. L’ouverture sur l’extérieur n’est pas source d’angoisse, mais plutôt synonyme d’une recherche d’harmonie.
Tous les chemins mènent en Minervois…
L’arrivée de Gene Barbe à Caunes-Minervois a quelque chose d’un peu surréaliste. Il y a six ans, ce Londonien, qui a habité quelques années à Paris, faisait le tour des Etats-Unis en train. A San Francisco, il entre dans une sorte de galerie / atelier de peinture (Live Worms) et discute avec le galeriste et artiste Kevin Brown. Tout de suite, le contact se fait entre les deux hommes, au point que Kevin Brown lui propose spontanément de participer à un workshop que le peintre et professeur d’art, Glenn Moriwaki, organise tous les ans (depuis plus de quinze ans)… dans la propriété d’un couple d’Américains, Terry et Lois Link, à Caunes-Minervois.
Voilà donc le Londonien Gene Barbe qui débarque dans le Minervois pour la première fois sur recommandation d’un peintre de San Francisco pour suivre plusieurs années de suite ce workshop. Le coup de cœur pour la région et ses paysages va faire le reste : il quitte les grandes villes précédentes pour s’installer il y a trois ans de manière permanente dans ce village qui compte déjà une importante communauté d’artistes.
« J’ai fait récemment trois toiles de même dimension et dans la même gamme colorée. Elles fonctionnent un peu comme un triptyque. Dans chacun, il y a un couple et dans chacun, j’y ai intégrés, sans forcer, les lignes d’un poème que René Char a écrit pendant la guerre et qui trouve aujourd’hui une résonance particulière : ‘L’intelligence avec l’ange, notre primordial souci’ ».
La mention est discrète, noyée dans les éléments nombreux qui composent chaque tableau. Car Gene Barbe est un adepte des techniques mixtes et ne se refuse rien : il peint à l’acrylique mais aime rajouter de la craie, des crayons, de la gouache, de l’encre, de l’argile, coller différentes matières, repeindre par-dessus, etc, jusqu’à donner dans certains espaces l’apparence d’un vieux mur d’affiches collées les unes par-dessus les autres sans qu’on puisse distinguer le nombre de couches existantes, donnant à son œuvre un zeste d’intemporalité.
« Je suis autodidacte en peinture. Je ne suis pas sûr de savoir dessiner, mais je sais être suffisamment disponible pour que mon inspiration puise dans ce qui m’entoure, notamment ces Montagnes Noires, ce minéral qui apaise l’humain : il y a la montagne, mais cette montagne ne bouche jamais l’horizon. Ma palette actuelle, composée essentiellement de bleus et de verts, est surtout arrivée depuis ma rencontre avec Caunes, ce n’est pas un hasard. Quand j’étais à Paris, je commençais tout juste à peindre et j’avais besoin avant tout de maîtriser les gris et les teintes sombres. La couleur, c’est le grand saut ».
Aujourd’hui, que ce soit dans ces grandes scènes dotées de personnages ou dans de minuscules paysages, c’est bel et bien la couleur qui anime le travail de l’artiste.
AD
Rencontre parue en mai 2017