CUJO Patrice

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Peintre
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Patrice Cujo
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Le voyage du peintre

Dans son atelier près de Perpignan, Patrice Cujo voyage dans ses toiles: il prend une toile et y dépose ce qu’une carte géographique peut lui offrir, des lieux, des noms, mais aussi des pliures, des rectos pleins de renseignements et des versos complètement vierges. Rencontre avec un artiste qui joue avec toutes les données de la carte, ses apports illustratifs comme ses aspects graphiques.

Aujourd’hui, pour aller d’un point A à un point B, c’est simple: on prend son google map ou toute autre application du même genre, on rentre les deux noms, le chemin est surligné et il n’y a plus qu’à se laisser guider.
Il y a encore quelques années, c’était sans doute moins rapide, mais nettement plus poétique: on ouvrait la carte Michelin, on s’y perdait en hésitant sur les chemins qui seraient les plus rapides pour arriver à destination, on s’amusait des noms improbables, on s’acharnait sur l’objet lui-même: un accordéon de papier toujours facile à ouvrir et impossible à refermer.
Et quand on n’avait pas de carte sous la main, c’était encore mieux. C’est ce qui est arrivé à Patrice Cujo, quand il était au Vanuatu en 1983: « Je devais me rendre à un endroit de Port Vila et un ami Ni-Vanuatu a commencé à me faire un croquis pour m’expliquer l’itinéraire. Son dessin s’est chargé de plein de détails sur ce qui s’était passé à chaque coin de rue et je me suis retrouvé avec une notion espace-temps complètement bouleversée », se souvient-il (1).
Depuis vingt ans, le peintre poursuit donc son exploration du potentiel offert par les cartes géographiques, en voyant dans ces représentations “un bon socle sur lequel se coagulent toutes sortes de langages: histoire, récits, mythes, anthropologie“.
Le peintre s’est longtemps inspiré des terres lointaines où il a vécu, mais, depuis qu’il s’est posé en terres catalanes, il a commencé une série sur ce territoire. L’histoire de son territoire, limité, défini et l’histoire de ses habitants, qui ne tient évidemment pas dans ce cadre limité: avec la Retirada, impossible de faire tenir l’histoire des Catalans dans des frontières. La Retirada, ou l’exode de plus de 450 000 républicains espagnols à partir de 1939, qui franchissent la frontière à la suite de la victoire du général Franco sur la République. Il faut forcer la carte, lui faire dire plus qu’elle ne pourrait donner. La série en cours dite Catalogne comprend 15 toiles grand format.
“Cartes? Paysages? Je ne tranche pas ! La moitié de ces toiles appartient à l’une ou l’autre catégorie. J’emprunte dans les atlas, dans les lectures, par l’observation déambulatoire, les rencontres, bref tout ces outils indispensables que j’associe, malaxe, combine !”
Dans la toile évoquant la Retirada figure juste une bande étroite de territoire. L’artiste a découpé dans le territoire la tranche qui lui convenait pour évoquer l’événement. La Catalogne n’est plus ce vaste espace qui en impose, c’est une langue de terre ingrate, longue, étroite, barrée de traits comme autant de crêtes compliquées à franchir.
Rien n’est droit. Rien n’est facile. La mer, grise et abstraite, n’est pas une option. Elle reste comme un fond de carte sur lequel rien ne figure. Et un entrelacs géant parcourt l’oeuvre de haut en bas, comme une tornade qui aspire et détruit ce qui se trouve sur son passage.
Dans une autre oeuvre, Patrice Cujo choisit de montrer un amas de jambes, pris dans un mouvement circulaire, qui s’empêtre, enfonce, froisse des strates de ce qui pourrait être une longue et complexe mémoire… En haut, un bout de carte évoque un territoire qui pourrait être la cause de cette confusion. Le tout dans un noir et blanc évoquant un combat qui trouve sans doute ses racines dans un passé lointain.
Tout peut éventuellement trouver une explication dans la peinture de Patrice Cujo, mais toutes les toiles peuvent aussi se donner à voir sans le contexte. Ce qui compte ici, c’est
encore de considérer le plan de la toile comme le lieu où s’affrontent fond et forme à la recherche d’un désordre maîtrisé.
Le peintre lui-même précise qu’au cours de son développement, le sujet aborde des mutations qui nécessitent beaucoup d’attention : “Une fois l’émergence de l’idée reconnue, le corps prend le relai pour aborder le grand format de la toile (souvent 2,50 x 2 m). En cours d’exécution, il est toujours surprenant de constater que les mains s’émancipent de vous en quelque sorte, ouvrant le plan de la toile à des perspectives plastiques inattendues. C’est assez jouissif !!”
Et puis parfois, Patrice Cujo ne s’évade plus dans les cartes et cherche au contraire dans ce qu’il a sous la main le point de départ d’une nouvelle oeuvre, pourquoi pas ce pot de peinture vert olive par exemple.
Et clairement, l’oeuvre porte autant la signature du peintre que celles inspirées des grandes cartes. Le vert se déploie dans des spirales, des angles, des replis. Elle sort du noir d’un espace noir et confiné pour rejoindre le bleu du grand air. Tout comme la carte devenait un objet à part entière qui prend vie sur la toile, la peinture devient objet, volume, espace. Une fois de plus, Patrice Cujo voyage. Depuis chez lui. Sans carte mais toujours avec une toile et un pot de peinture.

(1): 2002, dans un article paru dans Les Nouvelles Calédoniennes.

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BIO
Né en 1944 à Clermont-Ferrand (France).
Formation aux Beaux-Arts (ENSBA) de Paris et à Tours.
Passe de longues années en Océanie et dans l’océan indien.
Vit actuellement en Catalogne.

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