Rencontre avec Nadine Vergues, peintre, sculptrice
Saint-Affrique (Aveyron)
Nadine Vergues trompe les apparences.
Son art est un faux-semblant permanent où les œuvres ont une matière, un poids, une résistance qui trompent le regard.
Ce trompe-l’œil joue un rôle: le regard s’attarde, tourne autour de ce qui peut ressembler à une statue de l’île de Pâques, ou à un mur de briques. Ce petit temps d’incertitude permet d’apprivoiser l’œuvre, de se concentrer ensuite sur ce qu’a bien voulu faire cet artiste et avec quoi.
Car Nadine Vergues utilise un matériau rarement utilisé : le feutre industriel, le feutre que l’on a sous les pieds dans les voitures, mais qui ici prend ses lettres de noblesse, car il se prête à toutes les métamorphoses pour peu qu’on n’hésite pas à le martyriser: dans son atelier aveyronnais, Nadine Vergues soude, peint, brode, brûle.
“Le choix du feutre n’est pas uniquement un acte artistique, c’est aussi un parti-pris sur la réutilisation et la transformation. L’émotion peut émerger aussi de ce qui a été délaissé, abandonné, ruiné”, précise ainsi cette artiste, passée par les Beaux-Arts de Sète, ayant vécu plusieurs vies avant de reprendre une activité artistique à temps plein, une fois découvert le fort potentiel de ce matériau, si peu exploité par les artistes.
A partir de ce matériau épais et rugueux, l’artiste a réalisé de nombreux personnages, des têtes parfois immenses, qui possèdent une apparence granitique qui en impose. Ou alors des êtres de couleur brune qui incitent à pencher vers une sculpture métalique.
Dans les deux cas, l’apparence trompeuse apporte quelque chose, qui va de pair avec ces visages mystérieux. “Au travers de mes pièces, je pose des questions sur notre authenticité et le masque social que l’on porte”.
Plus récemment, le feutre s’est aussi transformé en forêt, des forêts de troncs que l’artiste peint ensuite pour évoquer des paysages du grand nord, qui ne sont que des bouts de feutre juxtaposés dans un bas-relief paysage, mais qui ont, comme le bois ou l’écorce, une matière à la fois épaisse et fragile: le feutre est solide, mais composé d’infinies fibres visibles, comme une mousse sur une écorce.
Finaliste de nos premiers Grands Prix cette année, Nadine Vergues avait proposé une oeuvre atypique, Bataclan: un bas-relief composé de personnages, tous à peine rehaussés de blanc, rien de plus. Certains se détachent du fond et sont légèrement en relief, d’autres au contraire juste évoqués par une silhouette vite esquissée dans un cadre, comme si les uns, encore debout, et les autres, déjà figés, appartenaient à la même scène.
L’œuvre bouscule, montre la violence derrière ces corps emmêlés, mais montre aussi que certains sont debout, un est à terre mais prêt à se relever. Il est question d’horreur, de désespoir mais aussi de nouveau départ, de résilience.
Très à l’écoute de son public, l’artiste est allée plus loin avec une autre oeuvre, conçue vraiment pour ouvrir le dialogue avec des groupes, quels qu’ils soient. Il s’agit d’un mur fait de briques qui se superposent en changeant d’apparence à chaque intervention. Un mur, symbole de séparation, qui va ici devenir outil de dialogue et de reconstruction.
“J’ai construit ce mur en 2017 suite à ma résidence artistique à Sao Paulo, où j’ai observé comment les murs des quartiers résidentiels séparent les riches des pauvres, soulignant les divisions de classe sociale et les questions de sécurité. Dès le départ, j’ai conçu ce mur comme une œuvre pédagogique et participative. Un mur, au-delà de sa construction physique, est un symbole politique: Il protège, cache, sépare et crée l’étranger.
Dès sa première exposition dans une galerie (Versailles, 2018), j’ai voulu rendre ce mur interactif. En m’inspirant du mur des lamentations à Jérusalem, où les gens déposent des vœux, j’ai transformé mon mur en un support d’expression personnelle et collective. Environ 200 messages y ont été déposés. Exposé ensuite au salon des artistes à Béziers, le mur a été largement tagué à ma demande. Avec le collège de Rouillac en 2021, nous avons monté un projet interdisciplinaire avec les professeurs d’Espagnol, Histoire-Géographie, et Histoire des Arts autour des murs. En construisant un mur avec ces élèves, chacun créant sa pierre, j’ai mis l’accent sur la contribution individuelle à un projet collectif, évoquant les valeurs de partage, d’entraide et d’humilité. La réflexion a porté sur la nature du mur, comment il peut à la fois rassurer et isoler, en évoquant les murs des prisons ou des hôpitaux psychiatriques« .
Nadine Vergues a réussi à domestiquer une matière ingrate et industrielle pour le plier à ses envies artistiques. Avec son mur, elle montre aux jeunes ou moins jeunes que les barrières, qu’elles soient mentales ou physiques, peuvent être franchies avec audace et créativité.
Bio
Nadine Vergues est repérée par Eliane Beaupuy-Manciet, grand prix de Rome, directrice de l’école des Beaux-Arts de Sète. Nadine Vergues n’a que 16 ans et entre alors aux Beaux-Arts de Sète, puis de Toulouse.
Elle met ensuite entre parenthèse sa pratique artistique avant de renouer avec il y a 15 ans, lorsqu’elle découvre le feutre industriel.
Aujourd’hui, elle crée et expose souvent. “J’aime la diversité des propositions qui me sont faites: installations, résidences, interventions avec des scolaires, évènements” …
Nadine Vergues a des oeuvres dans des collections privées, dans des musées et prochainement dans des parcs publics.