La vie des musées
A Montpellier, une œuvre italienne du XVIIème rejoint les collections du Musée Fabre
Didier Malka, avocat au barreau de Paris, collectionneur, amateur de peinture italienne, a fait don au musée Fabre de l’œuvre de Filippo Vitale, Judith et Holopherne, œuvre qui a trouvé sa place au sein de l’exposition temporaire La Beauté en partage, 15 ans d’acquisitions au musée Fabre, visible jusqu’au 6 mars.
L’œuvre était jusqu’à présent prêtée et exposée dans le cadre de l’exposition Caravaggio e Artemisia: la sfida di Giuditta, présentée au Palazzo Barberini à Rome.
Spectaculaire, ce tableau donne une idée forte du goût pour les scènes violentes inspirées de la Bible dans la peinture italienne du XVIIe siècle. Cette acquisition contribue à enrichir la collection de peinture italienne du musée, au cœur de l’identité de l’établissement depuis sa fondation en 1825.
- Filipo Vitale est âgé d’une quinzaine d’année lorsque Caravage (1571-1610) effectue ses deux séjours napolitains, en 1606-1607, puis à nouveau en 1609-1610. La présence de l’artiste et les importantes toiles qu’il laisse dans la cité ont une influence décisive sur les peintres actifs dans la ville, qui se convertissent à sa manière. C’est notamment le cas de Vitale, élève de Carlo Sellito (1581-1614) qui démontre son allégeance précoce au caravagisme dans son Sacrifice d’Isaac ou son Souper à Emmaüs. Dans sa Libération de saint Pierre, scène peinte à mi-corps au clair-obscur radical, l’influence du tableau de même sujet de Battistelo Carraciolo (1578-1635), suiveur le plus sévère et le plus radical de Caravage à Naples, est également indéniable (1615, Naples, église du Pio Monte della Misericordia), bien que Vitale apporte une pointe de douceur et de bienveillance à son naturalisme.
Par la suite, des artistes tels que Massimo Stanzione (1585-1656) ou Jusepe de Ribera (1591-1652) offrent un important renouvellement au langage initial de Caravage. Actif à la fois à Rome et à Naples, Stanzione apporte un savant mélange de rigueur classique et d’emphase baroque, sous l’influence de la sculpture antique comme de l’art de Simon Vouet et de Nicolas Poussin, accompagné d’une lumière riche et éclatante, tandis que la tournant coloriste de Ribera, enrichi par la connaissance des exemples vénitiens ou des Flamands Rubens et Van Dyck, suscite une peinture à la touche enlevée et aux coloris saturés et séduisants.
Ces deux modèles encouragent Vitale à suivre leur exemple. Le décor exécuté par le Dominiquin (1581-141) dans la chapelle San Gennaro de la cathédrale de Naples (1630-1641), contribue également à ce tournant du naturalisme au classicisme. - Sensible à ces modèles, Vitale compose une image spectaculaire, qui n’hésite pas à mêler une violence crue à un riche coloris séduisant. La Judith et Holopherne s’inscrit dans le sillage des deux versions exécutées par Caravage de ce sujet violent. Le peintre a sans aucun doute connu la seconde version peinte par Caravage à Naples, connue par une copie (Naples, Palazzo Zevalos) et une autre version à l’attribution particulièrement disputée.
Vitale représente le même moment que celui, très original, que Caravage avait choisi : l’instant où Holopherne prenant conscience de l’imminence de sa mort, pousse un hurlement de douleur et de terreur, avant d’expirer. L’organisation générale de l’image est la même : les personnages à mi-corps, le général philistin à gauche, l’héroïne juive au centre et sa servante à droite, avec une grande draperie rouge en toile de fonds pour de servir de décor au drame. L’artiste se plait à confronter la carrure démesurée d’Holopherne, notamment ses énormes mains, aux gestes tempérés de Judith, dont la physionomie apaisée répond, par contraste, au visage ridé de la vieille servante qui s’apprête à recueillir dans un sac le trophée de sa maîtresse : la tête d’Holopherne.
Si la référence à Caravage est manifeste dans la structure du tableau, il révèle dans le même temps la profonde transformation stylistique qui éclot durant le second quart du XVIIe siècle napolitain, entre baroque et classicisme, à une époque ou Vitale atteint sa pleine maturité. Là où Caravage avait fondé son tableau sur un intense clair-obscur, la scène de Filippo Vitale est éclairée par un violent coup de lumière qui définit brutalement la scène, les gestes et les expressions des personnages. Cette lumière vient rehausser une multitude de détails décoratifs, notamment les superbe étoffes de la robe de Judith ou encore les motifs de la grande draperie rouge. Cet attrait pour les belles draperies colorées rapproche Vitale de Massimo Stanzione. Si le visage impassible de Judith exprime un certain attrait pour un classicisme apaisé, le terrible hurlement d’Holopherne, à la bouche démesurée, semble indiquer une connaissance de certaines outrances de Ribera, notamment les supplices des quatre « furieux », Ixion, Titius, Tantale et Sisyphe, conservés au Prado (1632) et plus encore des Marsyas, dans les Apollon et Marsyas peints vers 1637 (Naples, museo di Capodimonte, Bruxelles, musées royaux des beaux-arts de Belgique). Ces multiples sources permettent à Vitale de construire une peinture d’une forte originalité, où se mêlent violence et élégance.