Sète (34)
Gilbert Ganivenq, l’art contemporain au cœur d’une entreprise
Rencontre publiée en mai 2014
L’un des principaux collectionneurs de la région crée l’événement ce printemps: avec ses équipes, le chef d’entreprise sétois remporte le concours pour réaliser la deuxième “Folie” de Montpellier, et annonce en même temps que le bâtiment abritera une partie de sa collection.
Rencontre avec un homme devenu passionné d’art contemporain… un peu par hasard.
Le goût de l’art
Gilbert Ganivenq ne cache pas son goût pour l’art contemporain, bien au contraire. Il a plaisir à faire partager ses coups de coeur, avec ses amis, mais aussi avec ses salariés ou ses clients: devant le siège de son entreprise, Promeo, une de ses toutes dernières acquisitions, un crâne imposant en métal brillant de mille feux, de l’artiste Philippe Pasqua.
Une fois à l’intérieur, on se trouve dans un hall d’entrée qui fait la part belle à quelques œuvres de peintres ou sculpteurs choisies, elles aussi, par le dirigeant: André Cervera, Bioulès, ou le photographe-plasticien Olivier Camen.
Et si l’on monte dans les étages… des œuvres accrochent le regard à peu près partout: dans les couloirs comme dans les bureaux.
Les salariés jouent le jeu: certains ont choisi les œuvres qui ornent leurs cimaises, d’autres sont toujours ravis de découvrir les derniers achats du patron.
Bref, l’art est de facto au cœur de Promeo, sans être pourtant le cœur de son métier.
D’un côté, le business: les campings, les centrales de réservation, l’immobilier. Un petit empire construit depuis une vingtaine d’années depuis Sète, avec son fils, par celui qui fut dans une première vie, ingénieur agronome spécialisé sur le coton. Et puis petit à petit, en parallèle de la success-story économique, Gilbert Ganivenq a pris le virus de l’art contemporain, au point d’acheter régulièrement des œuvres “en fonction des moyens du moment”, précise-t-il tout de suite. Et plutôt que de vivre d’un côté sa vie de chef d’entreprise, de l’autre sa passion, il fait partager ses goûts artistiques dans son entreprise.
Habitant Sète, aimant le contact avec les artistes, Gilbert Ganivenq s’est bien sûr intéressé aux artistes de cette ville, sans conteste la ville de la région qui a le vivier artistique le plus dynamique. “Mon premier achat, je l’ai effectué en Corse quand j’étais encore étudiant, et j’avoue ne plus me rappeler le nom de l’artiste. Mais celui qui m’a fait franchir une étape importante, c’est clairement le galeriste Yves Faurie, au début des années 90. On peut donc dire que tout cela est vraiment partie du creuset sétois”.
Pas étonnant dans ces conditions de retrouver dans sa collection les artistes qu’il peut cotoyer dans sa ville: Hervé di Rosa, André Cervera, Combas ou son frère Topolino, le sculpteur Dominique Doré, bien d’autres encore. Si on élargit à l’échelle régionale, on trouve aussi des œuvres du catalan Patrick Loste ou des Montpelliérains The Wizard, Bioulès, Boisrond ou le photographe Olivier Camen.
Au total, sans savoir précisément le nombre d’œuvres, le businessman-collectionneur estime à plus de 300 les pièces de sa collection.
Petit à petit, Gilbert Ganivenq construit donc une collection, à coup de rencontres et de découvertes coups de cœur.
A deux reprises, la collection s’est néanmoins étoffée sur une démarche plus construite: “En 1994, nous avons eu l’idée de réunir des œuvres autour d’un thème, Le Déjeuner sur l’herbe, et 25 artistes se sont prêtés au jeu. Nous avons recommencé en 2004 sur le thème de Don Quichotte”.
Art et entreprise
Depuis le début, Gilbert Ganivenq fait donc profiter ses salariés et ses proches de ses acquisitions. Mais la collection ayant maintenant une dimension importante, le dirigeant a réfléchi à la façon d’en faire profiter le plus grand nombre: “J’ai toujours souhaité que ces œuvres d’art soient accessibles, que toute cette démarche soit transparente. Je n’ai pas de raisonnement financier autour de cette collection, je ne l’ai pas faite pour en tirer une plus-value”.
GIlbert Ganivenq réfléchit donc, tourne autour de différentes possibilités, cherche à voir comment rendre encore plus accessible l’ensemble. “Finalement, en élargissant un peu le point de vue, je me suis dit qu’il faudrait un lieu qui puisse accueillir des œuvres, que ce soit celles de ma collection ou celles d’artistes qui le souhaiteraient. Un lieu privé, mais qui ne sont pas un lieu de business”.
Une folie
Et c’est ici qu’intervient un deuxième dossier qui va permettre de débloquer la situation. Car, entre autre dossier en cours, le groupe Promeo réfléchit en 2013 sur l’appel à projet lancé par la ville de Montpellier dans le cadre des “Folies”.
Petit rappel: en 2013, Montpellier annonce vouloir doter la ville de douze “folies” du XXIème siècle, qui doivent être innovantes d’un point de vue architectural. Des “folies” qui répondront donc aux Folies du XVIIIème siècle, ces demeures que se faisaient construire les aristocrates en périphérie des villes.
Le groupe Promeo n’a pas jusqu’ici répondu à des appels à projet de ce type. Il est resté centré sur ses activités, déjà bien diversifiées, entre les logements dédiés à l’accession à la propriété, ceux dédiés à l’investissement locatif ou au social, les résidences gérées ou l’immobilier d’entreprise.
Mais la société monte une équipe, réfléchit, s’associe avec Evolis Promotion, et par l’intermédiaire de jeunes architectes parisiens, les porteurs de projet entrent en contact avec l’architecte japonais Sou Fujimoto. Un architecte réputé mais qui n’a pas encore construit de bâtiment en France.
“On a travaillé en visioconférence entre Montpellier, Paris et Tokyo, poursuit Gilbert Ganivenq. Plusieurs schémas ont été élaborés et puis tout a évolué, petit à petit, jusqu’à dégager cette idée d’arbre, comme une tour à l’envers: un arbre dont les balcons, de plus en plus grands, forment comme des branches, des feuilles, ce que l’on veut, mais des espèces d’excroissances qui lui donnent cette dynamique et qui sont parfaitement en phase avec ce qu’est la vie dans le midi: une existence où l’on vit autant dedans que dehors, où la communication intérieur-extérieur est permanente”.
Promeo défend donc son projet et, malgré la taille imposante du groupe, fait néanmoins figure de petit poucet face aux deux autres dossiers déposés par les géants Vinci et Bouygues.
Le verdict tombe début mars: la deuxième Folie de Montpellier sera bien cet arbre blanc signé Sou Fujimoto. Une tour, des bureaux, des logements, un café au sommet et au premier étage, un restaurant et un espace-galerie artistique. La boucle est bouclée. Gilbert Ganivenq remporte un marché important, injecte de l’art dans l’architecture et trouve l’espace qu’il cherchait pour exposer sa collection ou d’autres oeuvres.
Pour le promoteur, ce qui a séduit le jury, “c’est l’ensemble du dossier et pas un élément ou un autre. Je pense que notre équipe dégageait une énergie qui se reflète dans l’ambiance générale du projet. Et puis il y a une cohérence avec l’histoire architecturale de Montpellier: avec Antigone, Ricardo Bofill faisait clairement le lien avec l’histoire de la Méditerranée. Avec cet Arbre Blanc, nous essayons de préfigurer ce qui pourrait être l’architecture du futur, toujours dans ce bassin méditerranéen”.
Il faut maintenant attendre 2017 pour voir cet Arbre Blanc à Montpellier? Un arbre qui en lui-même est un geste artistique hors du commun.
Quelques artistes de la collection
Olivier Camen
Olivier camen travaille la photo, de préférence ancienne. Il peint, il brode. Un travail hybride que le galeriste sétois Yves Faurie a largement contribué à faire connaître il y a une dizaine d’années.
L’artiste part de photos numériques qu’il tire sur toiles et va ensuite utiliser toutes les possibilités de la toile en matière de peinture et broderie.
L’artiste, dont la grand-mère était couturière, a travaillé dans le textile avant de trouver cette façon si particulière de travailler. Il en ressort des oeuvres émouvantes, qui parlent à tous car tous les éléments se répondent et s’enrichissent les uns les autres: le noir et blanc des photos, les sujets, souvent pris dans un passé qui inspire la nostalgie (les bords de mer, les stars d’Hollywood, Maria Callas, etc), les rehauts à la peinture dans des couleurs souvent pastel, et les broderies sorties elles aussi d’une mode un peu désuète confèrent à ces photos un côté intemporel, où les différentes techniques se mélangent pour aboutir à des scènes réelles mais clairement ré-interprétées sous nos yeux par l’artiste.
Le scénariste Jean-Claude Carrière qui a vécu toute son enfance dans l’Hérault est tombé sous le charme du travail d’Olivier Camen, qu’il présente dans un texte disponible sur le site de l’artiste: “Ce que nous pouvons voir dans le travail d’Olivier Camen, mais chacun peut y voir ce qu’il veut, aucune vision ne s’impose, c’est au-delà de la nostalgie, une tentative de cet ordre, particulièrement originale.
Elle consiste à récupérer quelques vestiges d’autrefois, le plus souvent des photographies (le siècle qui nous a vus naître en déborde) et à leur donner une vie nouvelle.
Olivier est un artiste, à n’en pas douter, mais aussi un artisan et surtout, sans qu’il s’en doute peut-être, un prêtre. Ce qu’il tient d’un rituel patient, semblable par moments à celui des anciens Egyptiens. La cérémonie qu’il célèbre est solitaire et minutieuse. Il veut conserver, mais sous une forme idéale (…)”.
The Wizard
Antoine Casals, alias The Wizard est un artiste graphiste de Montpellier d’une trentaine d’années, qui s’est d’abord fait connaître dans la mouvance du street-art en collant des affiches dans la rue.
On était en 2004 et comme beaucoup, l’artiste puisait son inspiration dans les paysages urbains: la ville l’inspire et la ville lui permet ensuite de montrer ses œuvres, souvent de petits personnages très simples (voire des vers de terre), qu’il restitue ensuite en les collant sur les murs de la ville.
Mais l’œuvre de l’artiste a depuis considérablement évolué.
Aujourd’hui, il doit sa notoriété à des œuvres beaucoup plus originales, des tableaux réalisés en atelier, à partir de papiers découpés, aux couleurs franches et acidulées, installés ensuite les uns sur les autres, grâce à des mousses isolantes, dans des installations en volume, fixées et figées ensuite dans un cadre.
La technique paraît simple, et les réalisations frappent au départ par leurs motifs géométriques et abstraits.
Mais elles s’intègrent à des formes plus précises, généralement humaines: elles donnent vie à un corps, elles sont surmontées d’une tête, etc. et l’ensemble prend alors une nouvelle dimension, beaucoup plus énigmatique.
The Wizard a exposé l’an dernier dans le cadre du K-Life, ou encore dans plusieurs lieux à Marseille, que ce soit en galerie ou dans le cadre d’une maison du Vieux Panier confiée à différents artistes de la mouvance Street-art.