Deux œuvres de Jean-Honoré Fragonard rejoignent les collections du Musée Fabre
crédit photos: Musée Fabre-Montpellier Métropole
- Les œuvres
Ces deux compositions furent sans doute réalisées au lendemain du séjour romain de l’artiste.
De retour à Paris, Fragonard connait un grand succès grâce à la présentation au Salon de son morceau de réception Corésus et Callirhoé.
Dès lors, sa production se partage entre les commandes prestigieuses de l’administration royale et celles de collectionneurs privés, comme c’est certainement le cas pour nos tableaux.
Dans deux clairières éclairées par une lumière contrastée, mystérieuse et poétique, Fragonard met en scène les amusements de petits groupes de paysans en costumes gracieux et fantaisistes.
Sur une toile, on s’amuse sur une balançoire à bascule, sur l’autre, on s’adonne au jeu « de la palette », un dérivé du jeu « du furet », distraction à la fois initiatique et érotique : un des participants du groupe placé en cercle doit deviner le détenteur d’un objet caché. Pour y parvenir, le « furetage », c’est-à-dire la fouille, est autorisée. En cas de victoire, le vainqueur utilise la palette en bois pour administrer une tape au joueur démasqué.
C’est ce que s’apprête à infliger les bergers en culotte bleu et veste jaune à la jeune fille qui tend la main, tout en se penchant sur l’épaule de sa voisine. La profusion des essences, buissons, pins parasols ou cyprès, sert de cadre à ces idylles, et se mêle aux formes étranges des architectures antiques et Renaissance, à demi ruinées, surmontées de la masse de nuages menaçants. Toute la poésie de Fragonard consiste à mettre en scène, dans cet univers bucolique, les jeux galants et facétieux des jeunes gens insouciants.
Les deux tableaux rejoignirent par la suite la collection de Pierre Jacques Onésyme Bergeret de Grancourt, receveur général des finances à Montauban, grand amateur d’art et collectionneur, associé libre de l’Académie royale de peinture et de sculpture. Fragonard et Bergeret semblent s’être côtoyés dès le retour de l’artiste en France. Par la suite, de 1773 à 1774, le peintre accompagna l’amateur lors de deux voyages à travers l’Europe, en Flandres et en Hollande, puis en Italie et jusqu’à Vienne, Prague et Dresde. Lors de la vente après-décès Bergeret, neuf peintures et de nombreux dessins de Fragonard furent présentés, les deux paysages constituant à n’en pas douter les pièces majeures de cet ensemble.
- Ces tableaux sont un ajout important à la connaissance de l’art du paysage dans la carrière de Fragonard
Quelques petites compositions, exécutées durant ou au lendemain de son séjour à l’Académie de France à Rome, étaient jusqu’alors connues. Par la suite, Fragonard s’intéressera au contraire au paysage hollandais du Siècle d’or, qu’il pastichera dans des compositions marquées par des lignes d’horizon très basses, dégageant de vastes ciels. Enfin, vers 1775-1780, l’artiste exécute une suite de peintures décoratives de grand format pour l’hôtel Marchal de Saincy.
Les deux toiles déposées au musée Fabre constituent le maillon manquant de cette carrière : elles reprennent le goût pour les jardins franciliens abandonnés dont Watteau au début du siècle, puis Natoire, Boucher et Oudry avaient pu exprimer la poésie dans des peintures et des dessins, mais que Fragonard transpose dans un univers italien.
À l’opposé de la tradition classique héritée de Nicolas Poussin et de Claude Lorrain, que Joseph Vernet perpétuait au XVIII e siècle, Fragonard exprime au contraire un goût pour une nature à la fois monumentale et sauvage, libre et foisonnante, dont le caractère pittoresque, propre à la rêverie, fut exprimé à la même époque par son ami Hubert Robert.
- Pour le musée Fabre, le dépôt de ces deux toiles est un évènement exceptionnel.
Si la collection de peinture du XVIII e siècle est un des piliers du parcours des collections, la figure de Fragonard, très connue et appréciée du grand public, en restait jusqu’à présent absente.
Le thème du voyage des artistes en Italie, et notamment des pensionnaires de l’Académie de France à Rome, est un véritable fil rouge du parcours des collections et permet, à travers des figures telles que Nicolas Poussin, Jacques Louis David, François-Xavier Fabre, Alexandre Cabanel et bien d’autres, d’observer au fil des siècles la fascination des peintres pour la péninsule. Le Jeu de la palette et La Bascule de Fragonard s’intègrent à ce parcours, en apportant une lecture singulière et poétique de la découverte par un jeune peintre du charme inoubliable des jardins italiens.