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Saint-Laurent de la Cabrerisse (11)

Anne Sarda

Le petit peuple, toujours plus nombreux

Pour commémorer les 80 ans de la Retirada, les expositions se multiplient dans la région.
A Millau, l’installation d’Anne Sarda permet de rendre hommage aux Espagnols en exil mais plus généralement à tous ces êtres qui cherchent leur place dans l’univers, ballottés par des actualités qui les dépassent.

La plasticienne audoise Anne Sarda a de la suite dans les idées: elle a présenté pour la première fois en 2004 son “petit peuple”. Quinze ans après, le voilà à nouveau, mais dans une forme enrichie année après année: le petit peuple a grandi, s’est multiplié et a diversifié ses manifestations. Aujourd’hui, la ville de Millau a choisi de le présenter comme un hommage à tous les exilés de la terre, en cette année où l’on fête un peu partout dans la région les 80 ans de la Retirada.

Ce petit peuple existe donc maintenant sous de nombreuses formes. Avant tout, bien évidemment, par ses personnages d’origine, frêles morceaux de bois assemblés pour constituer corps et tête, rien de plus. Ils sont nombreux, ils forment un tout, une foule. Même si chacun a des traits différents, ils ont une présence qui tient avant tout à leur nombre. C’est l’origine du projet, pour cette artiste autodidacte, très à l’aise dans le land-art et les installations in situ, que ce soit à partir de morceaux de bois comme ici ou, pour d’autres travaux, d’installations de “lirettes”, ces fils utilisés par les viticulteurs pour accrocher les sarments dans la vigne. Deux exemples parmi d’autres, pour montrer la volonté de l’artiste de travailler avec les matériaux disponibles dans un endroit donné.

Pour le petit peuple, le point de départ est donc constitué de ces petits bouts sans prétention, qui font entre 20 et 40 cm, qu’on trouve sur les plages: certains les ramassent pour en faire des créations, d’autres… parce que cela constitue également d’excellents bois de cheminée!

Anne Sarda, elle, les assemble, pour constituer des silhouettes vaguement anthropomorphes. “Souvent, très souvent, rajoute-t-elle, la tête repose non loin du corps, comme si je ne faisais que reconstituer quelque chose soumis à une dislocation”.

Les artistes sont nombreux à utiliser les bois flottés, mais bien souvent ils s’en inspirent pour créer un univers loufoque, gai, des créatures proches des dragons ou des choses tendant vers les masques africains.

Rien d’aussi léger, ici. Anne Sarda utilise cette matière pour en valoriser la fragilité et la dislocation.  “J’ai trouvé chaque pièce qui constitue ce petit peuple par terre, foulée aux pieds. Comme si je cheminais sur un champ de bataille. Ce qui m’intéresse, c’est la matière au rebut, et surtout les traces que le temps laisse sur cette matière. Les bois morts et flottés, les objets et déchets, travaillés par les éléments, les écorces tombées, les cailloux du petit Poucet”. Toutes ces choses deviennent personnages, expressions d’un autre monde, d’une autre histoire, d’un autre peuple.

Le but de ma recherche est de créer un tout avec des petits riens, de donner du sens à l’insignifiant. J’essaie d’utiliser ces petits riens pour rendre accessible une histoire au plus grand nombre sans le secours d’un discours abscons: tombés roulés, ballotés, de la rivière à la mer, ces petits bois s’échouent sur nos plages, après un long voyage. Ils se relèvent ils se mettent en marche ils cherchent un lieu pour leur cri’.

Mais depuis que l’aventure a commencé, Anne Sarda l’a nourrie d’autres éléments qui donnent une histoire à ce petit peuple: l’exposition montre ainsi des dazibaos de l’origine, des tirages photographique sur flag; une déclaration Universelle des Droits du Petit Peuple; un alphabet et quelques portraits de famille; un court-métrage, deux livres et, spécifiquement pour l’expo de Millau, des oeuvres à l’encre. Egalement de grands mobiles car ce petit peuple ne reste pas figé, il avance, envers et contre tout. Les noms évoquent les tentatives, les joies mais aussi les échecs: Errance (le plus grand des mobiles, créé spécifiquement pour cette exposition, Danseurs, On tourne en rond, Embarcations, Bouts de chemins, Pirogues, etc. Et enfin, des valises, plus ou moins vieilles, pour un peuple toujours prêt à partir.

En creusant sans cesse cette veine créative, Anne Sarda finit par donner à ce petit peuple toute une existence propre. Elle rejoint en cela les artistes démiurges qui cherchent à créer non pas une oeuvre, mais un univers dans sa globalité. Le plus connu est évidemment l’auteur du Seigneur des anneaux, J.R. Tolkien, ce philologue qui a inventé le peuple des hobbits, mais surtout une langue et une mythologie pour donner vie à ses créatures. On peut aussi évoquer le monde que Jephan de Villier a créé au milieu du XXè sicèle. Et plus près de nous, dans le temps et l’espace (il travaille dans le Gard), Nicolas Hamm avec l’aventure Arkae Mundi, autre aventure dans lequel un artiste s’investit totalement depuis des années et qui est toujours en cours.

Avec Le Petit Peuple, Anne Sarda avance sur la même voie, avec en plus une résonance particulièrement forte avec l’histoire de la région et l’actualité de la planète.

Ces petits bouts de bois évoquent aussi bien les Espagnols sur la route de l’exil il y a 80 ans que les migrants qui tentent le tout pour le tout en traversant la Méditerranée.

Une oeuvre que l’artiste souhaite à sa manière militante, elle qui n’hésite jamais à intervenir bénévolement pour la Cimade ou le Réseau Education sans frontière (RESF)..

L’infini voyage du Petit Peuple
Nouveau Théâtre Néo Cinétique
Installation mobile et théâtre immobile

Hôtel de Tauriac
Millau (Aveyron)
Du 19 avril au 16 juin

 

Télécharger le pdf de la présentation de l’exposition à Millau

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BIO EXPRESS

Anne Sarda, née en 1964 à Narbonne, réalise ses premiers collages et mobiles dès son enfance. Elle suit une formation technique supérieure et commence sa vie professionnelle dans ce secteur,  autrement dit l’organisation et la médiation culturelle, avant de choisir de revenir à la création artistique et de s’y consacrer pleinement.

Tout en posant pour différents artistes sculpteurs ou photographes, elle expose régulièrement collages et mobiles à partir de 1995, alternant pendant cinq ans expositions personnelles et manifestations collectives. Après une courte interruption (notamment dû à l’inondation de sa maison et de son atelier fin 1999), passionnée par l’écologie et engagée, elle se tourne définitivement vers les installations « in situ » qu’elle multiplie jusqu’à aujourd’hui dans toute la France et à l’étranger. Parallèlement, elle poursuit un travail d’illustration et d’édition, et des interventions pédagogiques régulières.

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