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Mohamed Lekleti, Khamsa

Mohamed Lekleti est au coeur d’une exposition présentée à Perpignan à partir du 19 janvier. A cette occasion, nous republions l’article écrit et publié en février 2013 dans le premier numéro du magazine Art dans l’Air, consacré aux artistes de la région.

L’exposition

Du 19 janvier au 17 mars 2019, ACMCM, Perpignan

Khamsa

Le titre de l’exposition:

Platon, puis Aristote pensait que le monde était régi par cinq éléments : l’air, l’eau, la terre, le feu, et la quintessence qui donnait le souffle de vie, khamsa signifie en arabe le chiffre cinq. Ici il fait allusion au nombre d’artistes exposés.

Par ailleurs, le choix de ce titre n’est pas fortuit car l’exposition regroupe des artistes issus essentiellement du continent africain et du Maghreb. En Afrique du nord, Khamsa, est un symbole utilisé comme amulette et talisman par les habitants pour se protéger contre le mauvais œil, il signifie aussi les cinq piliers de l’islam .

Artistes invités: 

Damien Deroubaix (né en 1972 à Lille, vit et travaille à Meisenthal, France), Mohamed Elbaz (né à Ksiba au Maroc en 1967; vit et trravaille à Casablanca et Lille), Myriam Mihindou (née en 1964 au Gabon, vit et travaille à Paris), Yazid Oulab (né en 1958, vit et travaille à Marseille).

« Le monde est une fête macabre »

Texte de Michel Enrici, 2018

Mohamed Lekleti vit avec son talent, une faculté singulière à composer des scènes complexes installées dans la toile d’araignée d’un dessin virtuose.

Un fatum en quelque sorte qui lui permet de toucher aux sujets les plus délicats. Son dessin, ses dessins portent des représentations que notre œil reconnaît tout en les distinguant des représentations communes. Mais notre capacité à reconnaître les signes se heurtent immédiatement à l’implosion de notre pensée. Que voyons-nous ?

Des images immédiatement politiques sont offertes tour à tour comme les séquences d’un même discours. Les femmes apparaissent sans subjectivité, voilées parfois et voyagent dans l’espace du dessin avec des hommes indéfinissables dont l’identité, l’activité, le désir se logent dans des corps aux organes twistés. Leurs membres tendent vers on ne sait quel pôle d’attraction, absent peut-être, invisible sans doute. Des tropismes secrets connectent les êtres et les ressorts de la sexualité semblent être la plus pauvre explication de ce chambardement. La tension est ailleurs d’abord dans la facture de dessin.

Dans le dessin de Mohamed Lekleti tout excède. Les scènes semblent prises dans un déséquilibre dont la meilleure comparaison pourrait aller vers le fonctionnement singulier des textes de Georges Bataille. Le peintre touche comme lui au mille-feuilles composé par les strates politiques, morales, religieuses, toutes résiduelles dans l’échafaudage de notre culture.

Cette addition donne au regardeur l’ambition de tenter une recomposition des scènes éclatées. Dans « Confidences » par exemple, un nuage très sombre concurrence l’ombre discrète qui suit la cavalière masquée, ectoplasmique et sans visage. L’âne est par deux fois inachevé : ses deux membres antérieurs se perdent dans le pointillé d’un dessin en devenir, sa tête absorbe le corps d’un homme dont le visage s’émancipe de son propre corps. Une plume apporte une distinction bleue, un petit schéma semble être venu se poser comme dans une planche de l’Encyclopédie et suggère, peut-être la nécessité d’un « plugging ». Nous sommes donc devant ce dessin, dans la dynamique du récit. Avec confiance nous pouvons croire que nous allons sceller le sens de cette charade. Peine perdue, l’élégance dénie la violence implicite, le caractère composite des accessoires met en panne notre imagination recomposante. Sans doute est-ce la force et la dignité du travail de Mohamed Lekleti de nous mettre en panne. Nous savons tout de ces représentations et nous ne savons rien de l’effet de ces représentations sur nous-mêmes.

Quand nous abordons le diptyque « Jeux d’enfants », certes les enfants jouent dans leur vêture impeccable mais pour l’essentiel ils nous font savoir que tout se jouera à la mêlée, dans l’intensité des gestes et dans l’intensité du jeu, celui-là même qui agite le couple sur une chaise de bureau à droite de la représentation. Les pulsions ici débordent et s’inscrivent dans les corps qui fusionnent. Les « Enfants jouant aux barres » de Gasiorowski, ne sont pas loin.

Ainsi va le dessin de Mohamed Lekleti, en lui les femmes sont triples comme des bouquets torturés et la modernité jouxte des figures fantomatiques peuplant les déserts vastes comme les pages blanches de l’artiste.

Œuvre après œuvre, c’est l’ambition des sujets qui nous étonne.

Pour avoir adopté le dessin l’artiste a trouvé un instrument particulièrement incisif. Ce dessin fonctionne sur le mode de la morsure.

Et quand nous avons consommé ravissement et douleur, nous savons que l’artiste nous à la fois offert la complexité du monde et de l’actualité, et dans le même temps le savoir virtuose que son dessin impose comme un soin.

Devant cette œuvre nous pouvons demeurer dans nos rêves, penser aux foules galopantes de Jérôme Bosch, aux traits magistraux des illustrateurs de l’Encyclopédies, aux quelques œuvres dessinées militantes et oniriques qui interpellent l’actualité. La couleur, la présence de la taxidermie du corps animal complexifient la proposition de l’artiste. C’est aussi la porte du cabinet de curiosité qui s’entrouvre et s’entend ici, le chant baroque de tous ceux qui y sont captifs

Mohamed Lekleti sait aussi quand il le faut abandonner la complexité et se concentrer sur l’efficacité du dessin. Ici comme dans d’autres expositions – où Bachar El Assad fut épinglé-, un dessin qui a valeur d’affiche interpelle la décision de Donald Trump de désigner Jérusalem capitale et ce d’un coup de menton. L’artiste répond, frontalement et le support du dessin devient le support d’un duel.

Michel Enrici 2018

Rencontre avec Mohamed Lekleti, magazine Art dans l’Air, 2013

Les personnages sont présents, toujours présents même s’il est difficile de comprendre dans quelle posture exactement le peintre les représente. Ils sont là, au milieu de la toile, masculin ou féminin mélangés. Les pieds, les mains, les bras ou les jambes y sont, mais entremêlés à d’autres éléments qui entravent les mouvements davantage qu’ils ne les facilitent: des fils, des prises électriques, des ampoules, des ciseaux, etc. Quand les éléments pourraient aider l’homme à se mouvoir,  à trouver son équilibre, c’est toujours plus compliqué qu’il n’y paraît: les chevaux sont rarement plus grands que les hommes,  les planches à roulettes avancent sans que personne n’en profite, le fil à plomb n’est pas à la verticale,  les roues sont à terre et les improbables machines composées d’éléments hétéroclites sont autant d’interrogations sur ce que l’homme a construit et sur ce qu’il peut en faire.

Bref, les personnages de Lekleti sont généralement  en situation instable, à la recherche d’un équilibre compliqué, au milieu de ces objets qui ont l’air sortis aussi bien d’une mythologie  des plus anciennes que d’une modernité déroutante. Les titres confirment cet ancrage  dans des histoires  qui puisent à toutes les époques et toutes les cultures et qui, surtout, rendent toujours compte de quelque chose à venir, non figé: la promesse de l’aube, feu et flammes, fragile, étreinte rebelle, psyché. Icare ou le Minotaure ne sont jamais bien loin.

Et pour peindre ce monde complexe et insolite, se mêlent souvent sur la feuille différentes techniques: de l’acrylique, du feutre, du fusain, du collage de papier calque coloré. C’est vrai de quasiment tous ses dessins. Mais si l’on prend les grandes toiles peintes, même constat: derrière l’acrylique, Mohamed Lekleti ne s’interdit pas quelques traits de fusain toujours apparents, des rajouts de couleurs fluos, de l’adjonction de sable, voire quelques collages.

Bref, pour user d’un vocabulaire éculé, il s’agit bien d’une “technique mixte”, une technique où les différents matériaux sont utilisés dans un savant équilibre, aussi savant que la posture de ses personnages: sur le fil, en permanence, en constant déséquilibre mais toujours en vie, expressifs.

(…)

Aujourd’hui, Mohamed Lekleti pourrait s’estimer comblé. La demande est là, la notoriété de plus en plus affirmée, il suffirait de laisser les galeries et conservateurs venir à lui et de laisser dérouler les choses, tout en continuant à travailler, au coeur de son atelier dans l’une des rues piétonnes de Montpellier. 

L’artiste, aujourd’hui âgé de 46 ans, avait commencé ses études d’arts plastiques dans son pays d  naissance à Rabat, avant de franchir la Méditerranée  pour les poursuivre. Et il est finalement resté dans la ville qui l’a accueilli pour ses études.

Mais peut-être à l’image de ses tableaux, Mohamed Lekleti aime continuer à explorer des voies toujours différentes, ne pas s’installer dans un équilibre définitif.

Aux côtés des expositions organisées par les galeries, il cherche donc toujours à produire son art sous d’autres formes. “Je suis en train de travailler avec un poète chilien, Louis Mizon pour illustrer un livre de poésies” précise ainsi l’artiste dont l’oeuvre peut rentrer en résonance avec ce poète remarqué et traduit dans les années 70 par Roger Caillois.. 

Et il garde toujours en tête l’idée de poursuivre ses oeuvres éphémères au gré des rencontres ou des événements qui se présentent. Des oeuvres faites pour êtres admirées dans un temps donné, dans des endroits où on ne s’attend pas forcément à rencontrer de l’art des vitrines de banques, de magasins de vêtements, de coiffeurs accueillent ainsi des oeuvres réalisées in situ, figuratives ou abstraites, faites avant tout pour être vues quelques temps des passants. Une façon chaque fois différente d’ouvrir le dialogue avec le public.

Anne Devailly

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