
Article paru dans le livre annuel: Artistes Occitanie, les 30 artistes 2024
Giroussens (81)
Katia Villard
La femme, démiurge de son quotidien
Katia Villard peint des femmes qui s’amusent à regarder frontalement le spectateur dans des scènes où elles tordent le quotidien. Une peinture narrative qui tourne autour de la figure féminine, puissante mais de manière ambiguë.
Katia Villard est une femme qui, depuis le début des années 2000, a commencé sa carrière artistique en dessinant ou en peignant des femmes. Des femmes qui ont une certaine assurance, un joli port de tête. Elles ont généralement une belle chevelure et sont habillées de manière très féminine, tout en restant relativement intemporelles.
Et surtout, des femmes qui n’hésitent pas à regarder devant elle, droit dans les yeux du spectateur, l’air de dire: “Regarde-moi bien, j’ai quelque chose à te dire”.
La plupart du temps, ces femmes posent devant un fond uni: dans les dessins, la femme sort de la feuille qui reste blanche, et dans les peintures, le fond est la plupart du temps coloré, avec des nuances mais sans éléments informatifs supplémentaires: pas de papier peint, de fenêtres, de lampes, etc. Comme un rideau au fond d’une scène de théâtre.
On a donc une femme, sans âge, sans époque, actrice au centre de la scène et qui joue avec le spectateur.
“Mes femmes semblent avoir de l’assurance, explique l’artiste. Mais on soupçonne vite un peu de mélancolie”. De fait, elles sont seules et ont pour unique compagnon des animaux, des jouets, un téléphone…
Ces femmes insistent pour être là, elles ont besoin de parler, de montrer leur univers, de partager leur intérieur. La plupart se ressemblent, ajoutant au côté intemporel, et au côté “tous unies” qui fait de ses tableaux un ensemble féministe assumé.
Dernier point qui ajoute au côté intemporel de cette peinture, une technique classique de figuration réalisée à l’acrylique, qui mêle glacis, fondus et superpositions. Pour ses peintures, l’artiste part d’une toile noire et appose progressivement les couleurs, donnant une profondeur et une luminosité un peu irréelle à la scène.
Et si la femme ne parle pas, les objets ou animaux qui l’accompagnent et qu’elle met parfois en avant vont permettre de faire de chacune de ses scènes une histoire particulière.
Tiens, cette femme si classique, avec son chignon relevé, quelle mouche l’a piquée pour se peindre des taches noires sur les jambes??? La présence d’un dalmatien à ses côtés donne des éléments de réponse. Mais comme dans les cadavres exquis des surréalistes, les deux éléments peuvent faire une histoire, à condition que celui qui regarde finisse de tisser les liens. Et le lien peut être drôle, léger (une femme-enfant qui copie le pelage de son chien), mais il peut être plus déroutant (et si la peinture n’était rien d’autre qu’une façon de laisser son empreinte?), etc. Chacun va remplir les vides comme il le sent.
Parmi les thèmes récurrents de l’artiste, le duo “La femme et l’oiseau”, un thème simple qui inspire Katia Villard… à condition encore une fois d’y apporter un élément perturbateur. Le duo lui permet de décliner de nombreuses possibilités: des histoires tendres, cruelles, des rapports de force qui s’inversent, etc.
Mais toujours de manière un peu décalée. Ici, une jeune femme dans une élégante robe de soirée fleurie et dos nu, tient dans ses mains un oiseau mort. La fête est finie, les fleurs se transforment en couronne mortuaire autour de l’animal…. à moins que ces fleurs qui persistent montrent que la vie continue, comme dans un Memento Mori, où tout meurt mais où tout persiste grâce à la peinture.
Là, on attendrait un oiseau, mais cela aurait été trop convenu: du coup, ce n’est pas un oiseau mais un poisson qui vient parler à l’oreille de la femme, vue de dos. Un hommage à Magritte, qui avait dessiné une scène de même inspiration.
Plus insolite, cette toile ou Katia Villard représente une jeune femme/jeune fille sagement habillée d’une robe jaune au col en dentelle, encore plus sagement assise sur un canapé. Et entre ses mains: l’origine du monde de Courbet. Et sur le canapé: un petit chat/ une petit e chatte.
Le ton reste léger, la scène fait partie de l’ensemble, mais on navigue entre Magritte et Balthus, la touche surréaliste pour le premier, l’ambiguïté et les sous-entendus érotiques pour le deuxième. D’ailleurs l’artiste aime rendre hommage à certains peintres, dans ses toiles, sans pour autant étouffer son oeuvre de références. Des clins d’oeil, tout au plus.
Le point de départ de chacune des scénettes représentée par l’artiste peut être très divers: “Parfois j’ai l’image et l’histoire déjà en tête quand je prends les pinceaux. Mais parfois le point de départ est plus léger. Par exemple, une envie de peindre un ours!. C’est vrai, je dois admettre que ce que j’aime avant tout, c’est faire une image, créer un monde”.
“En mettant dans une même image deux éléments qu’on n’attend pas à voir réunis, on va au-delà de l’apparence sociale, on est à la fois dans l’intimité, et dans l’interrogation. Et c’est à partir de là qu’on peut se raconter une histoire. Pour essayer de donner un peu de sens à ce que nous propose l’image”.
Dans un monde où tout un chacun est inondé d’images, on est tenté de jeter un coup d’oeil à tous visuels et de passer à autre chose. Avec ses éléments décalés, ses histoires à moitié finies, Katia Villard propose une peinture qui amène le regard à se poser un peu plus. Le tout avec légèreté.
Anne Devailly
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VERBATIM
J’aime raconter des histoires, je pense que le mode narratif permet de soulever des questions, on peut jouer avec les apparences, le contraste entre une attitude et les objets représentés..
BIO
Née dans la Drôme. A vécu 19 ans à Marseille.
Diplômée des Arts Plastiques à l’Université de Provence à Aix en Provence.
Reconnaissances artistiques: Membre de l’académie des Arts Sciences et Lettres. Cotation Drouot.
Représentée par la galerie Ixiart, Toulouse et par la galerie Jérôme Morcillo, Albi.
Katia Villard donne également des cours, notamment à des illustratrices.
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