
Cette présentation de l’artiste et de son travail est paru dans le livre de la collection Artistes Occitanie, les 30 artistes de l’année (2023)
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Nancy Barwell, L’art en marche
Je commence toujours par faire des photos qui tiennent lieu de carnet de croquis. Ma dé- marche est alors un travail d’analyse et de reconstruction.
L’oeuvre intitulée “ Les marcheurs d’Avila ” est ainsi une série de grands fusains sur papier, variations autour de ces personnes se promenant dans la ville de Sainte Thérèse d’Avila, petite bourgade située au nord de Madrid”.
C’est ainsi que l’artiste a peaufiné sa démarche de construction et de déconstruction de l’image: “ J’ai réalisé des photos sur place puis je les ai agencées dans mon atelier de telle manière à constituer un panoramique de ces gens en mouvement. J’ai recouvert cet en- semble de papier calque, sur lequel j’ai dessiné, peint, et puis j’ai déplacé certains éléments, j’en ai déformé d’autres, j’ai accordé de la place à certains fragments en les détachant du fond, j’ai reconstruit ”.
Les Marcheurs d’Avila réalisent une œuvre complexe. Au sein de laquelle se juxtaposent des éléments disparates, construits puis déconstruits et assemblés de telle sorte que les images sources ne sont que souvenir.
Quelques éléments d’architecture, des personnages qui marchent, ou bien des paires de jambes en marche, sans qu’on en sache plus. Sur d’autres dessins, des formes plus ou moins anguleuses renvoient à une espèce de fusion des motifs. On ne sait pas trop ce qu’on voit, mais ce dessin fait clairement partie de la série au même titre que les autres, il en partage le format, le medium mais surtout l’ambiance : des personnages plus ou moins esquissés dans une architecture plus ou moins identifiable.
L’artiste le précise elle-même, sa démarche n’est finalement pas si loin de celles des cubistes un siècle plus tôt : “ Les ruptures de forme et d’espace, les valeurs enchaînées multiplient les facettes et les temps successifs du mouvement de la marche. Parfois une masse humaine bourgeonnante et compacte se glisse dans les replis mystérieux de la composition. Toutes ces formes se répondent dans un espace réinventé, qui cherche à entraîner l’esprit dans la mobilité de l’œil ”.
Le marcheur avance vers sa destination, l’artiste avance dans sa quête de reconstruction, celui qui re- garde avance dans sa compréhension des choses. Le marcheur est finalement emblématique de ce qui fait le vivant : le mouvement, qu’elle qu’en soit la raison. Celui qui regarde la série entière trouve un univers et peut s’immerger avec les marcheurs dans ces architectures esquissées. Derrière un travail complexe, l’ensemble de ces dessins se présente comme quelque chose d’un abord somme toute accessible, apaisé, calme, sans doute grâce aux vertus du fusain, medium à la fois très simple et très fragile, qui adoucit un peu les angles des constructions ou le noir des silhouettes. Et finalement, une harmonie se crée entre l’outil et ce qu’il a produit sur la feuille : “ comme le fusain dont la trace reste fragile sur le papier, ces ombres sont amenées à disparaître, au coin de la rue comme au bout de la feuille de papier ”, précise ainsi l’artiste.
Ce travail reflète aussi le parcours de l’artiste, un parcours cosmopolite, mais ancré dans un Sud où les ombres ont leur propre force, dotées d’une présence aussi forte que les zones inondées de soleil.
“Finalement, je me suis rendue compte que ma démarche était finalement proche du processus en oeuvre dans le travail du rêve, qui procède par déplacements, déformations, reconstructions. Le résultat final n’est certainement pas une peinture onirique. Ce n’est pas dans le résultat, ni dans le but poursuivi, mais vraiment dans ce processus de création que je trouve une référence au fonctionnement du rêve ”.
Nancy Barwell aime travailler par cycle, par thème, mais le médium en revanche varie. Pour Les marcheurs d’Avila, elle a donc privilégié le fusain, mais pour le thème suivant, En attendant que ça sèche, elle a choisi la peinture acrylique.
“ Au départ encore une fois, des photos prises dans différents pays du pourtour de la Méditerranée. Car je trouve que les femmes, surtout dans ces pays-là, ont un vrai talent pour étendre le linge et réalisent de belles installations.”.
Cette fois-ci, de la couleur, des mouvements, des éléments sans doute plus identifiables, mais quelques constantes néanmoins : un jeu de construction-reconstruction qui fait que l’artiste s’attache plus à une ambiance qu’au détail de ce qu’elle a vu et photographié ; et une ambiance méditerranéenne qui tient aux ombres portées, souvent très fortes, mais également cette fois-ci à la palette de couleurs vives, voire saturées.
La fascination pour les ombres a commencé avec une série de photos prises dans le désert d’Atacama au Chili où on a visité une ville fantôme construite pour les ouvriers des mines de salpêtre : cette ville comptait un théâtre, une pharmacie, des magasins, une piscine, et évidemment elle n’est maintenant plus que l’ombre de ce qu’elle fut.
“ L’ombre était ici à la fois un symbole et une présence physique très forte ”, poursuit Nancy Barwell.
Tout en menant de front la marche, à travers certains espaces, l’artiste est à la recherche d’une thématique qu’elle pourra ensuite retravailler en atelier.
Anne Devailly
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ELEMENTS BIOGRAPHIQUES
Née en Algérie, d’origine espagnole. Études de médecine à Paris Psychiatre, psychanalyste
Installée à Montpellier depuis moins de dix ans, pour renouer avec le climat méditerranéen de son enfance.
Licence d’histoire de l’art à la Sorbonne
A Paris, a obtenu un Master 2 dans le cadre de l’Université des Arts Plastiques à Saint-Charles. Sa formation technique a été accomplie dans des ateliers privés ainsi qu’à l’Ecole des Beaux-Arts de la rue de la Glacière.
Peint depuis une quarantaine d’années.