STEINER Michel

Discipline(s)
Peintre
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M. Michel Steiner

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Un lieu, un modèle, une couleur

Michel Steiner n’a pas besoin de beaucoup de choses pour créer : un atelier, une fenêtre, un modèle. Sans cesse, l’artiste revient de manière obsessionnelle sur ce lieu et ce sujet. La seule chose qui change, jour après jour : la lumière.

Atelier aux murs blancs, fenêtre nue ou recouverte de rideaux transparents faits de la matière la plus légère (du plastique-bulle), modèle nu ou habillé de voilages blancs. Tout le reste est décoration. On peut aller encore plus loin dans le dénuement : le modèle est presque toujours le même : sa femme Geneviève. Même si l’artiste fait poser de temps à autre d’autres modèles, sa peinture est aussi une ode à sa femme, sa muse, la mère de ses enfants. Encore plus loin dans l’ascèse : la pose est généralement statique et frontale, et à contre-jour.
Tous les matins, quand la lumière est la plus nuancée, l’une pose, assise sur un tabouret, le dos contre la fenêtre. L’autre peint, debout devant le chevalet, face à son modèle. Un modèle particulier, puisqu’ils vivent ensemble depuis plus de soixante ans, ce qui induit des rapports évidemment complexes : « Le modèle, elle ferait partie du ‘tu’ et Geneviève, elle fait partie du ‘je’ ». Le peintre qui regarde en alternance sa femme et la toile blanche qu’il pratique depuis le même nombre d’années ; le va-et-vient entre l’une et l’autre, le travail de la lumière, le passage du temps….
Il s’agit de saisir ce qui se passe à cet instant précis, sans trop en dire, sans trop en montrer. Une atmosphère avant tout, que l’artiste peut dégager à grands coups de brosses épaisses trempées dans le blanc, très légèrement nuancé de couleurs. Le poète Charles Juliet a montré toute l’importance des blancs chez Michel Steiner : « Ces blancs que de subtiles nuances différencient, ont deux origines distinctes. Certains sont liés aux choses – drap, linge, vêtement. Les autres procèdent directement de ce que poursuit le peintre. Ils sont ce par quoi on quitte le temps pour gagner l’intemporel. Ils se mêlent aux premiers et convertissent ce qui appartient au terrestre en une lumière qui devra ne pas s’éteindre ».
Dans les années 50, quand il a commencé à peindre, avec déjà un travail qui était figuratif et qui cherchait avant tout à travailler lumière et couleur, Michel Steiner était évidemment complètement à contre-courant des grandes tendances de son époque, et des principaux mouvements tendant vers une abstraction de plus en plus dépouillée. D’ailleurs, l’artiste se sent plus de proximité avec des créateurs d’autres sphères artistiques, notamment des poêtes (Rilke, Jaccottet) ou des danseurs, comme ceux qu’il a pu cotoyer au Festival d’Avignon, ville dans laquelle il a dirigé l’Ecole des Beaux-Arts. « Pour moi, c’est l’expression qui compte plus que le moyen d’expression ».
Quelques décennies plus tard, il ne se pose toujours pas la question de son positionnement face aux courants artistiques du moment. Pour lui, seul compte la peinture jour après jour. Et les jours s’enchaînent, le travail recommence, la pose reprend et le résultat n’est jamais le même.
Le peintre et son modèle, l’homme et la femme, le peintre et sa toile, l’atelier et la fenêtre…
Certains ont exploré toute leur vie une forme, une couleur, Michel Steiner lui a un sujet, un modèle, et construit des variations autour, tout en mode mineur. On pense à Verlaine devant cette peinture.

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VERBATIM
« Blanc de la lumière, blanc du silence, blanc de la solitude, blanc de l’allégresse, blanc de la tendresse. Effacement ou bien éclat, Blanc pesant ou léger, opaque ou transparent, parfois présence, parfois absence. Plein. Vide. Tantôt mur et tantôt espace.
C’est aussi un blanc qui est donné dès le départ, le plus souvent dans la qualité d’un support. Importance de la pratique du dessin, de l’aquarelle, de la page blanche ».
Michel Steiner, entretien avec Bernard Varaftig
« Faire son métier comme le paysan le fait, qui ne travaille jamais en direct sur la pomme, seulement autour et avec sa conscience. La pomme est ce qu’il mérite, qui n’a de sens que quand quelqu’un la mange qui la trouvera bonne ou pas ».
Michel Steiner
« Une vie à peindre Geneviève n’y suffira pas, tant il y a de progrès à faire à peindre tous les jours le visage de Geneviève ».
A double titre. D’abord pour le fait de renouveler en permanence le regard sur l’être aimé :
Je fais souvent ce rêve étrange et pénétrant
D’une femme inconnue, et que j’aime, et qui m’aime
Et qui n’est, chaque fois, ni tout à fait la même
Ni tout à fait une autre, et m’aime et me comprend.
Ensuite, pour la démarche, et la recherche de la nuance :
De la musique avant toute chose,
Et pour cela préfère l’Impair
Plus vague et plus soluble dans l’air,
Sans rien en lui qui pèse ou qui pose.
La peinture de Michel Steiner vise de la même manière à la nuance, sans s’embarrasser de bavardage, sans volonté de montrer, d’expliquer, de justifier. Il suffit de peu de choses pour parvenir à dégager une présence.
Et ce peu de choses, on le trouve dans le quotidien, à condition de savoir regarder. D’ailleurs, l’artiste revendique son manque d’imagination. « J’aime l’anagramme Atelier-réalité ». Il peint ce qu’il voit et uniquement ce qu’il voit, et c’est bien là toute la difficulté. « Le manque d’imagination m’est devenu avec le temps un refus. Plus un manque, mais une richesse, un atout, une liberté. Je n’ai pas besoin d’imagination parce que la réalité de chaque jour et ma relation de peintre avec cette réalité est tout à fait suffisante. Ma relation de peintre à l’atelier ? La certitude du’ J’ai vu cela’. Surtout s’il s’agit d’une oreille verte ou de cheveux rouges » (entretien avec le poète Bernard Vargaftig).
Et puis, s’en tenir à peindre ce qu’on voit exige de saisir toutes les nuances d’une lumière sans cesse renouvelée, mais cela exige aussi de se défaire des modèles, des références qui peuvent agir, même à l’insu de l’artiste.
Dans ce même entretien accordé au poète, Michel Steiner revient, lucide, sur ses premiers portraits, il y a quelques décennies, beaucoup plus colorés : « Les couleurs que j’utilisais énormément dans mes années d’apprentissage, les ocres, les terres, ont disparu progressivement. C’était l’époque où je croyais regarder le modèle que j’avais sous les yeux, qui posait devant moi, alors que le modèle réel, un peu à mon insu, était plutôt Rembrandt ou Soutine ».
De temps en temps, Michel Steiner ouvre la fenêtre, et se concentre alors sur ce qu’il voit dehors : le paysage. En bas, quelques prairies, quelques arbres, mais très vite, le ciel, immense, qui mange quasiment tout l’espace. Et une fois de plus, pour rendre compte de cette immensité de ciel, une seule chose importe : capter la lumière spécifique de ce jour.

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