
Sète
Ēve Laroche-Joubert, A la recherche d’un art total
Ēve Laroche-Joubert travaille dans la tradition de l’artiste-ingénieur à l’intersection de la sculpture, la performance, la danse, l’architecture et le design. Un art total
Ēve Laroche-Joubert conçoit parfois des œuvres monumentales. Et, contrairement à beaucoup d’artistes dans ces cas-là, elle conçoit et fabrique tout de A à Z: les dessins de conception, les maquettes, la partie technique, y compris quand cela exige soudure, coupe, etc.
Et quand la structure est finie, c’est encore elle, la plupart du temps, qui va la faire vivre devant le public en la prenant comme point de départ de performances. A part le verre qui demande des techniques spécifiques, l’artiste peut travailler tous les matériaux et a pratiqué suffisamment la danse pour exécuter elle-même ses performances.
Bref, un art total que revendique cette artiste qui se passionne autant pour les arts plastiques que pour les neurobiologies, les maths, la géométrie, la musique ou la danse. “J’ai deux grandes lignes artistiques dans mon travail, explique l’artiste: le corps en mouvement, qui est souvent le thème de mes œuvres plastiques et son expression dans des performances vivantes”.
Installée à Sète seulement depuis 2018, elle a déjà eu l’occasion de montrer son travail à un public important: la ville de Sète lui avait donné carte blanche sur son stand, lors de la foire Montpellier ArtFair 2020.
L’artiste y a exposé des sculptures: des pièces creusées aux formes souples d’une blancheur immaculée qui faisaient irrésistiblement penser à des bénitiers, le coquillage ou sa version en albâtre ou marbre à l’entrée des églises. Quelque chose de doux, et pourquoi pas de sacré.
Et puis le visiteur levait la tête et voyait la photo associée à cette oeuvre: une femme allongée dont les hanches ou les fessiers étaient entourés de bandelettes de plâtres.
Le regard sur la sculpture prenait un autre sens: ce “bénitier” est en fait le résultat de ce moulage. Mais plutôt que d’en montrer l’extérieur, la forme humaine, elle en montrait la partie concave, comme si on se situait dans le corps lui-même.
En 2021, l’artiste poursuit ce travail autour du corps pour de nouvelles expositions à la Chapelle du Quartier Haut, toujours dans l’île singulière et dans les parcs de la Scène de Bayssan non loin de Béziers. Cette fois-ci, l’artiste donne à ces moulages sur corps des dimensions telles que les gens peuvent se lover dedans. “Ce sony des formes douces, organiques. J’ai travaillé avec le laboratoire 3D de l’université des Sciences de Montpellier pour réaliser une œuvre à partir d’un scan d’épaule. Les gens vont se lover au creux d’une épaule surdimensionnée. Peu importe qu’ils analysent clairement la nature de ce creux”.
Ce travail est emblématique de sa démarche, toujours à la charnière entre l’art et la science, entre le ludique propre à la rêverie et le scientifique qui sous-tend la création.
« Qu’on s’imagine un corps plein de membres pensants » écrivait Pascal dans ses Pensées. “Je me retrouve dans cette pensée, précise l’artiste. L’intelligence n’est pas uniquement le fait du cerveau mais bien du corps dans sa globalité, et ce rapport corps-esprit m’intéresse profondément”.
A sa manière, par ce travail global, l’artiste montre comment la conscience physique favorise la créativité. Celle de l’artiste comme celle du spectateur, appelé à son tour à donner vie à l’œuvre.
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BIO
Un parcours où se croisent toutes les disciplines
Née à Nancy en 1975, Ēve Laroche-Joubert a reçu, de la maternelle au collège, en parallèle du parcours classique, une formation poussée en danse classique et musique au conservatoire de Lorraine. Puis elle choisit au lycée une section F12, conciliant art et mathématiques. Pour son bac, elle conçu un décor de théâtre mettant en œuvre des chariots mobiles pour tirer les actrices incarnant les Ondines de la pièce de Jean Giraudoux.
À Paris, elle intègre l’atelier métal de l’École des Arts Appliqués Olivier de Serres. En cours de scolarité, elle obtient le premier prix d’un concours d’art et de design au Musée du Louvre grâce à la conception-fabrication d’un jeu de Mah Jong pour voyants et non-voyants. Pour son diplôme des Métiers d’Art, elle crée des œuvres cinétiques motorisées inspirées de la mécanique des premières machines volantes. Dorénavant avide de recherche et de théorie, elle poursuit aux Beaux-Arts de Paris dans l’atelier transdisciplinaire de l’artiste Tony Brown où ses réflexions sur les rapports corps-esprit et corps-objet commencent à prendre forme. Elle travaille six mois sur l’IRM de son propre cerveau, modélisé en 3D en collaboration avec un ingénieur du centre de neurologie de l’Hôpital des Quinze Vingt.
Dans un autre registre technique, elle fabrique des portails en fer forgé au sein d’une des dernières forges industrielles de France à Pantin, en partenariat avec l’école. A Paris, elle trouve le temps de pratiquer le théâtre en parallèle de son activité de plasticienne.
En 1999, lauréate de la bourse Colin Lefranc, elle part une année au San Francisco Art Institute en Californie où elle se familiarise avec l’art de la performance.
De retour à Paris, elle est embauchée dans une école d’artisanat privée parisienne (AFEDAP) comme professeure de perspective et se spécialise dans les techniques d’anamorphoses.
De 2002 à 2018, elle vit à New York et, à la manière de Trisha Brown, investit les rues et les toits de Brooklyn avec des performances spontanées. “Les structures faites d’objets usuels assemblés comme des balanciers me permettaient de réaliser des acrobaties sans danger, des actes défiant l’idée de comportement préconçu”. Elle est invitée à réaliser des performances inaugurales, comme pour la Nuit de la Philosophie à New York en 2015, ou le projet 100 Artistes dans la Ville de Nicolas Bourriaud pour l’ouverture du MoCo à Montpellier en 2019.
De retour en France depuis janvier 2018 pour s’occuper de son père atteint d’une maladie neurodégénérative, elle partage aujourd’hui son temps entre Sète et Brooklyn.
Ses dessins, sculptures, photographies et vidéos sont exposés et collectionnés à travers le monde, en France, en Suisse, en Belgique, en Allemagne, en Autriche, en Finlande, au Japon, en Russie et très largement aux États-Unis.