
Nîmes
Emma Godebska
Transparence, Traces, Mémoire
Emma Godebska propose un langage pictural épuré : des coups de pinceau larges laissent des traces transparentes, qui se chevauchent. Rien de plus, mais rien de moins non plus. L’artiste rend visible le geste et propose une peinture faussement simple qui cherche à montrer la permanence des choses.
Les oeuvres se suivent et participent tous d’une même démarche : au centre d’une feuille blanche, un ou deux grands traits de couleur posés avec un outil large. Une couleur monochrome, mais diluée, claire, avec des pigments que l’outil repousse sur les bords, ce qui donne une épaisseur sur les côtés et éventuellement des manques au milieu. Le deuxième trait, réalisé la plupart du temps avec la même teinte, vient se superposer au premier dans des effets de transparence.
Peu de choses, peu de matière, un geste simple et rapide, mais au final, de la transparence et du relief, des formes qui vibrent, solidement installées au centre de la feuille, mais fragiles néanmoins.
Pour parvenir à une telle épure, Emma Godebska a travaillé à la fois le papier, l’outil, le pigment. Rien n’est laissé au hasard en amont, pour que sur la feuille, l’aléatoire reprenne ses droits.
Le papier, pour commencer: l’artiste cherche la quadrature du cercle, un papier qui “repousse et absorbe” à la fois. Pour cela, elle prend des papiers, les couvre parfois de laque, ou elle choisit des cartons qu’elle couvre de gesso ou de laque avant de les poncer. L’essentiel est de trouver l’équilibre pour que les pigments adhèrent mais restent transparents.
Après le papier, les pigments: “Je crée mes couleurs dans des bacs, mais je ne souhaite pas obtenir un mélange homogène. J’essaie, je cherche une couleur vibratoire”.
Enfin, l’outil, qui va permettre de mettre le pigment retenu sur le papier apprêté pour cela. Et là, encore, l’artiste a choisi de les fabriquer elle-même: elle moule ses palettes en silicone qui, toutes, doivent donner une trace différente, en raison de leur largeur, de l’aspect plus ou moins aigu de la tranche, de la qualité du silicone.
“Tout ce travail, de la préparation jusqu’à sa réalisation n’est pas sans me faire penser au taichi, précise l’artiste: il y a une répétition visuelle, un travail en série, une gestuelle qui se voit, et qui se voit de plus en plus aujourd’hui, puisque je vais maintenant vers de grands formats. Quand j’aborde un papier de deux mètres de long, le geste en lui-même impose le résultat”.
Là encore, un pont se crée avec les étapes précédentes de son parcours:
“Quand j’ai eu trente ans, j’ai souhaité faire un break et je suis partie six mois au Brésil. J’avais dans l’idée de créer ma collection de bijoux en rentrant. Pendant ses six mois, j’ai fait un dessin par jour et quand je suis rentrée, je me suis mis à réaliser des impressions de bois, de cordes. Bref, de nouveau la matière, et ses traces”. Elle va ensuite creuser ce rapport avec le temps, la mémoire. D’abord en réalisant des petites sculptures, composées de visages déstructurés, dont les bouts sont simplement assemblés par quelques fils de fer ténus. Ensuite avec un travail sur les objets mémoires, ces objets qui encombrent toutes les maisons mais qu’on ne souhaite pas jeter pour autant, attachés qu’ils sont à quelques souvenirs. Elle leur donne des lettres de noblesse en respectant leur fragilité, en les intégrant dans un grillage anarchique réalisé dans un cadre ancien. C’est vieux, cela a été beau, cela peut l’être encore. Tout est question de regard.
“Je peux dire que jusqu’à aujourd’hui, cette idée de mémoire, de trace, est toujours présente dans mon travail”.
Parfois la simplicité n’est vraiment qu’une fausse piste. C’est notamment le cas quand elle retravaille les traits épais que l’outil peut laisser en fin de course. “Parfois, quand j’ai affaire à des zones très épaisses dû à un outil très chargé à la fin de la ligne, j’attends que le trait sèche mais que cette zone épaisse, elle, reste encore un peu humide, et je passe le karcher: tout ce qui est sec ne bouge pas, mais le karcher va enlever les masses encore humides”.
Il ne restera alors parfois qu’un mince filet qui va cercler un grand espace blanc, créant une zone d’une grande fragilité là où il y avait au contraire une zone très massive et homogène.
Emma Godebska, ou l’art de trouver le maximum de nuances dans un simple coup de pinceau.
Anne Devailly
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BIO
Emma Godebska vit et travaille à Nîmes, depuis 2012. Elle y est née et y a grandi dans une famille d’artistes à laquelle le musée des Beaux-Arts de Nîmes a consacré une exposition en 2022, où l’on pouvait découvrir des œuvres du grand-père, du père et du frère d’Emma, entre autres.
“J’ai grandi dans l’atelier de mon père, François Godebski, à Nîmes, comme mes frères. Mes frères étaient tous de bons dessinateurs, j’étais davantage intéressée par les possibilités que recèle la matière”.
A 18 ans, après s’être inscrite à l’Université pour suivre un cursus en math, elle bifurque et part fille au pair à Londres. Elle y reste pour étudier les arts appliqués pendant six ans.
Retour à Paris où elle travaille dans la bijouterie de luxe, avec Chanel et Louis Vuitton, puis pour Loulou de la Falaise.
A 30 ans, elle quitte Paris et retourne à Londres développer ses créations personnelles.
“Et puis on a vidé l’atelier de mon père et j’ai trouvé la boîte de peinture de mon grand-père. Les tubes anciens, usés jusqu’à la corde, je les ai traités comme mes objets – mémoires: intégrés dans un cadre, avec du fil de fer qui ne se cache pas. Les tubes vivants, je les utilise pour la peinture. Et les tubes qui étaient entre deux, je les ai éventrés pour en sortir une trace de pigments sur un papier sur lequel j’ai collé le bout de tube qui restait.
C’est ce travail qui m’a donné envie d’explorer un peu plus la force des traces, mais cette fois-ci en utilisant mes propres pigments, toujours à base d’eau et d’acrylique.
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En trois ans l’artiste est passée de trois à cinq galeries.
French Art Studio Gallery, Londres
Galerie Virginie Lesage, Paris
See Galerie, Paris
Decorazon gallery, Etats-Unis
Ideal Art gallery, galerie on line