SURGA Anne-Cécile

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Sculpteur
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Mme Anne-Cécile Surga

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Mon Histoire

Mou comme du marbre

La sculptrice Anne-Cécile Surga défie l’évidence: elle sculpte dans le marbre comme d’autres laisseraient leurs empreintes de doigts dans une motte de beurre. Ou comme la cellullite déforme le corps. Des matières molles, des chairs flasques que l’artiste se plaît littéralement à graver dans l’une des pierres les plus dures et les plus nobles. Un travail qui déconcerte tout en s’inscrivant dans un féminisme discret mais convaincu.

Anne-Cécile Surga ne sculpte que depuis cinq années. Un temps bien court qui a pourtant suffi à l’artiste pour que son travail soit repéré par des galeries en Italie (Padoue), en Allemagne (Berlin), et aux Etats-Unis (Miami) et pour qu’elle puisse envisager de vivre de son art.

A première vue, rien d’étonnant, devant un travail qui a un côté immédiatement séduisant: comment cette artiste arrive à tordre ainsi la rigidité du marbre pour faire croire que cette matière est aussi malléable que de la pâte à modeler?

Le marbre semble avoir fondu sous les doigts de l’homme et ce côté intrigant, séduisant joue son rôle pour emmener ensuite plus loin la réflexion. Et apparaît alors un travail plus complexe.

“C’est marrant que les gens me disent que je fais des sculptures en beurre, explique l’artiste. Au départ, ce n’est vraiment pas ce que je cherchais. En fait, l’histoire est à mille lieux de cela, et si les gens le savaient, ils n’auraient pas ce regard amusé sur l’oeuvre finale, mais c’est très bien ainsi: cela les pousse à aller plus loin”.

Au départ, donc, une histoire toute autre: les deux parents de l’artiste sont d’origine polonaise, et l’ont emmenée il y a quelques années dans ce pays, visiter différents lieux dont le camp d’Auschwitz.

“Une des choses que j’ai trouvée les plus marquantes dans ce lieu, c’est ce qu’on peut voir dans la dernière chambre à gaz encore debout, qui n’a pas été détruite par les Nazis pendant leur fuite et bizarrement, c’est la première qu’ils aient créée: on y voit des traces de main à deux-trois mètres du sol, des traces indiquant clairement que ces gens cherchaient désespérément à partir… On ne peut que ressentir un choc immense en voyant ces traces. Je suis rentrée en France et ai réalisé un premier bas-relief reprenant ces empreintes. C’était en 2016”.

L’artiste intègre alors d’autres traces de main, des mains d’enfants, des mains plus ou moins volontaires. L’oeuvre naît peu à peu. Aujourd’hui, l’artiste a décliné le sujet dans une trentaine d’oeuvres toutes aussi dérangeantes les unes que les autres, des traces qui partent à l’assaut de cubes, de cônes, de plans inclinés, mais qui n’arrivent jamais au sommet. Des traces qui sont parfois plus des griffures où on ne sait même plus s’il s’agit d’une trace humaine ou animale.

Depuis cette série qui l’a fait connaître, Anne-Cécile Surga a élargi ses thèmes tout en restant au plus près de ce que peut donner à voir le corps ou ses empreintes. Graver encore et toujours des sujets organiques, éphémères dans la solidité et l’éternité d’un bloc de marbre.
“J’essaie de développer un regard sur l’anatomie, un regard plus féministe, pour montrer ce que peut être un corps de femme, un corps sans afféterie, quelque chose qui n’est pas passé à la moulinette des canons de beauté formatés par les médias ou le cinéma”.

En clair, les plis, les bourrelets, la cellulite, gravés dans un marbre rose qui rajoute au côté réaliste du sujet. “Je montre tout ce qu’on cache d’habitude. Je trouve que la représentation de la femme dans le domaine de l’art doit encore être bousculée. Il y a certes quelques avancées, mais cela peut aller encore plus loin. J’apporte ma petite contribution”.

Dans la même veine, l’artiste a réalisé des green ou pink corsets: de simples rubans de couleurs lacés comme pouvait l’être le corset sur le dos d’une femme, sauf que ce dos est remplacé par un bloc de marbre. Et la pierre, elle, déborde des deux côtés. On peut évoquer le corset, mais c’est maintenant lui qui est emprisonné dans la pierre. Reste un élégant laçage mais qui ne contraint plus aucune chair.

Une fois de plus, l’oeuvre est séduisante mais permet de s’interroger et d’aller au-delà de ce qu’on a sous les yeux.


VERBATIM
“À travers ma pratique artistique, je vise à explorer les valeurs inhérentes à la nature humaine. Je m’intéresse beaucoup à la question de la définition du moi et à quel point le contexte social dans lequel nous évoluons est responsable de la formation de notre propre image. En tant que femme artiste, je me concentre un peu plus sur la définition de l’identité des femmes. La société de consommation actuelle envoie des tonnes de messages à chaque être humain, influençant ainsi la façon dont nous nous voyons et comment nous voulons nous définir. Je m’intéresse à la façon dont les humains restent fidèles à leur cœur dans cette société malgré la violence quotidienne qui nous est lancée. J’ai une approche classique de l’art et de la figuration et j’ai donc toujours intégré la beauté comme un aspect important de mes œuvres.
Je crois qu’il y a un triangle psychologique entre qui nous sommes réellement, ce que la société nous dit d’être et l’image de nous-mêmes que nous décidons de projeter sur la société.
Je parcours l’étendue du personnel et de l’émotionnel, comment notre société consumériste contemporaine affecte notre façon de vivre, de ressentir et notre façon de développer la notion de soi.
Je m’intéresse à la façon dont les humains continuent à être fidèles à eux-mêmes malgré la violence quotidienne que la société nous oblige à affronter et à commettre envers autrui. Mes travaux peuvent être compris comme des élaborations de réactions émotionnelles à des problèmes sociétaux.
En tant que femme, mon travail reflète les défis particuliers auxquels je suis confrontée dans ma vie privée, et je crois que cela met en lumière et commente les problèmes sociétaux inhérents à notre époque”.

BIO
Anne-Cécile est née en 1987 à Lavelanet en Ariège. Elle rentre à l’Académie des Beaux-Arts de Jacques Stanislas Rincon à Tarascon en 2000 où elle apprend les concepts d’art classique (anatomie, composition, etc), mais elle est encore collégienne et ne sait pas si elle veut faire de l’art son métier.
Après le lycée, elle opte pour une école de commerce en 2006, tout en suivant des cours du soir de sculpture sur argile à l’Atelier Michel Fontenille à Dijon. En 2012 elle part pour New York faire un Master en Histoire de l’Art. Elle suit en parallèle du Master des cours de sculptures sur métal et d’écorchés.
En 2013, elle part en résidence à la Fondation Pablo Atchugarry en Uruguay après avoir rencontré son fils, Piero, lors du Master. « Il m’a invité chez lui où j’ai pu découvrir le travail de son père, sculpteur. Son travail n’a rien à voir avec le mien mais c’est lui qui m’a initié à la technique et qui m’a donné envie de m’y mettre réellement”.
Elle apprend à travailler le marbre, et c’est la révélation. En 2015 l’artiste ouvre son atelier de taille de marbre en Ariège où elle vit et travaille à présent.

Entretien - Rencontres Artistes d'Occitanie
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