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Grand entretien


Emmanuel Négrier, politologue
à l’occasion de la sortie de son livre, Culture et métropole: une trajectoire montpelliéraine


“A Montpellier, les nouveaux modèles de politique culturelle bousculent les schémas en place”

Source: Occitanie Livre et Lecture

Le politologue Emmanuel Négrier analyse la politique culturelle mise en place par les métropoles en France, en faisant un  focus spécifique sur le cas montpelliérain, dans un petit ouvrage qui inaugure une nouvelle collection, Culture et métropole, une trajectoire montpelliéraine, éditions Autrement.

Analyse, à partir des éléments du livre et d’un entretien avec son auteur.

 

  • Les métropoles et la volonté d’offrir une culture de qualité aux habitants:
    Les 22 métropoles, qui concentrent le quart de la population française, sont incontournables en matière culturelle: elles représentent près de deux milliards € de dépenses culturelles, soit deux fois le budget culturel des 100 départements.
    Dans les  années 2000-2010, certaines métropoles (Montpellier, mais également Rennes, Grenoble ou Clermont-Ferrand) choisissent d’avoir une politique culturelle ambitieuse, pour proposer à leurs habitants une offre de qualité dans les différents secteurs: musique, théâtre, danse, art, etc.
  • Montpellier fait de la culture un élément d’attractivité
    Montpellier s’est très tôt distinguée par l’accent qu’elle met sur la culture, qui n’est pas ici un outil de régénération urbaine, puisque Montpellier, dépourvue de tradition industrielle, ne connaît pas la friche. C’est un outil d’attractivité, impulsé par la puissance publique. A part le Cinemed qui émane d’une association, toutes les autres propositions passent par la délégation politique à une professionnel de haut rang. Son rôle est donc de faire rayonner l’institution.
    Pour viser l’excellence, la métropole adopte alors un “esprit de catalogue”: obtention de labels ministériels, construction d’établissements de prestige, festivals internationaux. Deux opéras, un grand festival classique, un CDN (centre dramatique national), etc.
    Or, tous ces équipements ont volontairement été adaptés dans les années 90 à une ville bien plus grande que ne l’est Montpellier. Ils pèsent donc lourdement sur le budget, d’autant plus qu’ils sont quasiment tous caractéristiques de la loi de Baumol dite des “coûts croissants” dans le spectacle vivant: plus celui-ci a du succès, plus il coûte, contrairement à toutes les attentes des économies d’échelle.
  • Dans ce contexte arrive un nouveau projet d’envergure, le MoCo:
Cour de l’Hôtel des Collections, Montpellier

Le MoCo est l’illustration de la politique de l’offre poussée à son extrême: on coche les cases du catalogue.
Et de fait, la case “art contemporain” n’était pas remplie à Montpellier: le Musée Fabre n’a pas de collection du XXème siècle et il n’y a pas de bourgeoisie pour prendre le relais.
Mais ce maillon arrive à un moment où cette politique de l’offre est battue en brèche.
Qui plus est, dans un contexte politique qui devient délicat pour Montpellier.

Dans les années 2000 et jusqu’en 2016, ville, métropole et région bénéficient d’un alignement politique, permettant des transferts de l’effort culturel de la ville vers la région. C’est le cas pour l’Opéra-Orchestre national, pour les Festival de Radio-France et de Montpellier Danse.
En 2016, Languedoc-Roussillon et Midi-Pyrénées fusionnent dans une nouvelle région, l’Occitanie.
Les relations entre la métropole et la région se dégradent, le soutien à la cause culturelle de Montpellier étant sans commune mesure avec ce que l’on  trouve ailleurs sur le territoire. Un exemple: l’aide de la Région à l’opéra du Capitole à Toulouse (500 000 €) comparée à celle qu’elle accorde à celui de Montpellier (4 M€) qui, en plus, n’est pas dans une situation financière saine.

  • Mais plus fondamentalement, le MoCo arrive alors que la politique de l’offre est remise en question
    Ce modèle fondé sur le primat de l’offre atteint ses limites, à Montpellier comme ailleurs. Il est battu en brèche par des phénomènes émergents: collectif de spectateurs, espaces coopératifs, tiers-lieux, regroupés autour d’une notion de démocratie culturelle, contribuant à une production culturelle plus horizontale et transversale.
  • A  cette politique de l’offre s’opposent désormais de nouvelles normes législatives comme la notion de droits culturels, maintenant intégrés dans les lois NOTRe (2015) et LCAP (liberté de création, architecture et patrimoine (2016).
    Les deux plaident pour une réhabilitation de la “demande” qui passe par un recentrement sur les relations entre personnes, et un décentrement par rapport aux oeuvres, quasi-sacralisées dans le modèle de l’offre; bref, un modèle plus favorable à l’expérience sociale qu’à l’expertise. L’intérêt de la culture tient alors aux objectifs non culturels qu’elle peut permettre d’atteindre.
    Une reconnaissance qui va de pair avec une hybridation des pratiques, elle aussi rendue difficile dans le cadre de l’offre où chaque protagoniste vise l’excellence dans sa filière (théâtre, musique, beaux-arts). Désormais, les textes privilégient également une multiplicité d’opérateurs, incitant à l’émergence d’opérateurs privés à côté de l’action publique.
    (En appui à cette analyse, on peut rajouter la toute nouvelle délégation en charge de la transmission des territoires et de la démocratie culturelle créée il y a quelques mois par la ministre de la culture, Roselyne Bachelot).
  • Dans le secteur de l’art contemporain à Montpellier, cela se traduit par l’arrivée de nouveaux acteurs:
    le groupe Promeo, dirigé par Gilbert Ganivenq crée la Serre, où il expose une partie de sa collection et organise des expositions. Le musée de l’art brut, la Halle Tropisme.

La culture voisine alors avec des engagements civiques, politiques et des concepts de service à la population dans les quartiers.
Un essor qui tranche avec le modèle institutionnel précédent. “Mais la politique de la demande est difficile à défendre quand on a par ailleurs de gros paquebots à gérer en musique, théâtre et maintenant art contemporain.
Tout le défi va être de réussir à concilier les deux approches”.

  • Dans ce contexte nouveau, le cas de Nicolas Bourriaud reste à part:
    I
    l a été appelé pour prendre la  direction du MoCo (Hôtel des collections, la Panacée et l’Ecole des Beaux-arts) dans un schéma de politique de l’offre et doit maintenant travailler dans un contexte où monte radicalement la politique de la demande.

Il incarne l’art contemporain dans ce que cela peut avoir de plus exigeant, apportant une offre de qualité internationale à Montpellier.
C’est la quintessence de cette politique de l’offre et de sa recherche de l’excellence. Mais c’est aussi le père de l’esthétique relationnelle, ce qui se voit déjà au fait qu’il gère trois espaces liés à l’art contemporain de manière différenciée. Nicolas Bourriaud a évolué et a finalement adapté son paradigme au territoire.
Il y a certes des tensions avec la nouvelle équipe municipale, mais le nouveau maire a toujours voté le principe de cette structure tripartite. Le problème n’est pas sur la structure que représente le MoCo, il est sur la programmation.

Emmanuel Négrier, Philippe Teillet, Culture et métropole, une trajectoire montpelliéraine, 7,50€, collection Popsu, éditions Autrement (ce titre inaugure la nouvelle collection Popsu, plateforme d’observation des projets et stratégies urbaines).

 

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