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Christine Viennet, Béziers (34)

La terre au service d’un bestiaire marin

Christine Viennet  aime la terre, son modelage, sa cuisson, son émail. Après avoir longtemps travaillé dans le sillage de Bernard Palissy, elle s’en éloigne de plus en plus pour créer un bestiaire marin où il est difficile de déceler ce qui relève d’un travail documentaire fouillé de ce qui ressort d’une imagination fantasque.

Rencontre dans son atelier, au Château de Raissac, à Béziers.

Christine Viennet a de la suite dans les idées. A l’âge de 16 ans, elle achète sa première céramique : une petite soucoupe, faite au XIXème par un suiveur de Bernard Palissy, le céramiste français du XVIème réputé pour ses plats en trompe-l’œil, où les poissons, les coquillages et crustacés, lézards, serpents et grenouilles semblent plus vrais que nature.
Avec sa passion pour Bernard Palissy, Christine Viennet combinait deux choses qui lui tiennent à cœur : le goût pour l’art et une vraie passion pour la nature. Deux données que l’on retrouve dès les premières années de son existence : l’artiste est née dans la campagne norvégienne, où elle a passé son enfance. Quelques années plus tard, initiée à la céramique par deux grands artistes norvégiens, elle apprend le dessin aux Beaux-Arts d’Oslo et découvre la terre, le modelage, les formes qu’elle ne quittera plus jamais.

Pendant des années, elle réalise à son tour des trompe-l’œil, qui ont un succès fou auprès des grandes enseignes de luxe parisiennes et internationales. Et puis elle se lance des défis techniques encore plus fous en se concentrant davantage sur un univers à la Bernard Palissy. Ils sont cinq au monde aujourd’hui à se passionner ainsi pour le céramiste français et à prolonger son œuvre, au point qu’un œil non exercé a du mal à déceler l’œuvre du XXIème siècle de celle du XVIè.

Sa passion la mène à la fois à faire un travail de création dans la lignée du maître, en peuplant ses plats de tout un monde animal et végétal, parfois moulés sur nature, et à réaliser un ouvrage complet sur « Palissy et ses suiveurs du XVIè à nos jours », paru aux éditions Faton en 2010.
Difficile d’aller plus loin. Alors, peu à peu, Christine Viennet s’éloigne du maître : « J’ai fait ce livre, mais il fallait ensuite qu’il me sorte de la tête ! ». L’artiste plonge alors dans les abysses et crée son propre univers, peuplé de créatures marines. Bernard Palissy était clairement un homme de la terre. Quand il faisait un plat de poisson, c’était des brochets, des tanches, des carpes, bref des poissons de lacs et rivières.

Christine Viennet au contraire prend le large : les méduses, les poulpes, les coquillages, les crabes arrivent, de plus en plus nombreux, de plus en plus insolites. « Cela reste la nature, explique l’artiste, amusée. Je pars vraiment d’un animal vivant, je me documente, je cherche l’équilibre, et ensuite, …. eh bien, je brode, j’explore… ».
Chaque pièce reste un défi technique : le poulpe tend ses fines tentacules vers le ciel, l’anémone multiplie ses bras d’une finesse sans doute limite avec le matériau, la méduse ne repose que sur ses filaments, les mailles du filet de pêcheur sont d’une finesse qui semble incompatible avec la terre… « J’aime le jeu avec les contraintes, j’aime les expériences. A chaque fois, j’ai le sentiment de recommencer à zéro, de prendre toujours des risques. D’ailleurs, quand j’ouvre le four de cuisson, j’aime être seule… car le résultat peut parfois être décevant ou surprenant ». Autrement dit, ça passe ou ça casse, au sens propre….

Les pièces sont pourtant toutes en terre : pas d’armature dans les tentacules du poulpe, ou dans les filaments de la méduse. Pour les filets, l’artiste prend de vieux tramails en coton trouvés à la Pointe Courte à Sète, et les intègre dans la barbotine (« Les filets actuels sont en nylon, inutilisables pour moi »). A la cuisson, le coton, qui a absorbé la terre, brûle mais la matière reste.

Christine Viennet aime brouiller les pistes, et au final, les animaux qui semblent les plus délirants peuvent au contraire être les plus réalistes, comme ce Bathynomus, qui ressemble à un énorme pou… Christine Viennet est formelle. Pour une fois, elle n’a pas brodé : « C’est un animal qui vit dans les profondeurs. Je l’ai fait taille réelle ! ».

Tout cet univers  a engendré une série de têtes humaines, tout droit sorties des océans : des personnages coiffés de poulpes, de coquillages, d’algues ou de poissons, etc.
Rien de répugnant, bien au contraire : le poulpe, qui est clairement l’animal fétiche de l’artiste, est là pour son côté caressant, fluide, doux… éventuellement même pour son intelligence : lui, qui est sans doute le seul animal à savoir ouvrir une boîte de conserve, est représenté par l’artiste dans toutes les positions possibles : seul, dans un ballet aérien de tentacules, ou sur la tête d’un personnage qui en semble ravi, ou encore sortant d’un coquillage qui lui sert de nouvelle maison.

Le travail de modelage de la terre n’est pas le plus compliqué pour l’artiste, qui réalise même cette première phase relativement rapidement. C’est ensuite que les choses délicates commencent : les engobes, les couleurs, les cuissons. Les oxydes et les émaux sont appliqués au pinceau et au pistolet  pour cuire dans un four à plus de 1250 °. Comme Christine Viennet aime à la fois les nuances dans les couleurs et la brillance pour faire vibrer la matière, trois, voire quatre cuissons successives sont parfois nécessaires.
Un travail compliqué et de longue haleine pour arriver à l’effet recherché : la création d’un monde plus vrai que nature, où se confondent rêve, symboles et réalisme.   

Cécile Guerbert

Le musée de la céramique

Quand elle faisait des trompe-l’œil, Christine Viennet aimait bien les intégrer à des assiettes ayant déjà une petite histoire. Elle parcourait donc les marchés aux puces à la recherche d’assiettes des différentes manufactures françaises ou anglaises, pour ensuite y rajouter des légumes, des bouchons, des poissons…
Petit à petit, ces trésors dénichés aux Puces ont fini par constituer une véritable collection des manufactures européennes du XIXè, dont la plupart ont disparu aujourd’hui.
S’ajoute à cela sa passion pour Bernard Palissy et tous ses suiveurs.
En 1990, elle organise cet ensemble pour en faire un musée de la céramique au Château de Raissac à Béziers, en deux parties bien distinctes :
Au Château, les œuvres des suiveurs de Bernard Palissy du XVIème à nos jours.
Dans les anciennes écuries, les Arts de la Table autour des manufactures européennes du XIXème, principalement en France, mais avec également un regard sur le travail scandinave.

Bio

Christine Viennet a passé son enfance dans une propriété au sud d’Oslo, en Norvège.
Sa mère, veuve, se remarie à un Français et la famille vit alors entre Paris et le Sud de la France.

Elle découvre le travail de la terre grâce à deux céramistes norvégiens, formation qu’elle va poursuivre aux ateliers de Lurçat et Picart le Doux dans les Pyrénées-Orientales ainsi qu’à l’abbaye Saint Michel de Cuxa avec le Père Paoli.

Première exposition de ses céramiques dans une galerie parisienne dans les années 70, avec les peintures de son futur mari Jean Viennet.

Christine Viennet poursuit son travail de céramiste dans son atelier héraultais, d’abord à Sérignan, puis depuis les années 80, au Château de Raissac.
Aujourd’hui, elle poursuit un travail régulièrement exposé dans des galeries et musées en Europe et aux Etats-Unis.

 

Rencontre publiée en janvier 2016

Site web de l’artiste

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