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Magi Puig, Catalogne espagnole

Magi Puig

Chaleur et lumière

 

Le catalan Magi Puig peint à l’huile avec lenteur : les couches se superposent plus qu’elles ne fusionnent pour donner des aplats aveuglants comme peut l’être la lumière de la Méditerranée. Chez cet artiste, tous les sujets (personnages en repos, en mouvement, villes et paysages) sont finalement prétextes à un travail sur la lumière.

On pourrait penser à la lettre de Vermeer : une femme de profil, perdue dans ses pensées en regardant quelque chose dans ses mains. On pourrait aussi penser à Georges de La Tour : comme chez lui, la femme est éclairée par l’objet qu’elle a entre les mains.
Mais chez Vermeer, il s’agissait d’une lettre, et chez Georges de La Tour, la lumière provient généralement d’une bougie, la plupart du temps cachée mais qui éclaire le personnage. Ici, la femme ne tient dans ses mains ni une lettre, ni une bougie, mais un mixte contemporain des deux : un écran lumineux.

Magi Puig donne à la scène le même recueillement, la même concentration que le faisait Vermeer quatre siècles plus tôt. L’outil a changé, mais la capacité à se projeter dans un écrit est la même.

Cette toile récente de l’artiste catalan est révélatrice de son travail : il prend ses sujets dans le monde qui l’entoure, mais il ne cherche pas à analyser par ce biais la façon dont le monde a changé, ce que la technologie transforme, etc. Au contraire : sa peinture donne le sentiment d’une certaine permanence des choses : quelque soit l’outil, le contact avec les autres se fait toujours dans la concentration. Ce qui est vrai de cette femme l’est aussi des autres sujets qu’il affectionne : les enfants sont toujours là pour rire et jouer ensemble et, le soir, ils sont fatigués et dorment sous des couvertures bien épaisses ; Venise sera toujours écrasée de soleil en été avec du linge qui pend au mur.

Bref, ce qui est beaucoup plus important que la temporalité pour l’artiste, c’est la lumière et la composition. Comme un photographe et comme tous les peintres de la lumière avant lui, Magi Puig n’a que deux mots d’ordre : la lumière, celle, forte et faite de contrastes, de la Méditerranée, et le cadrage, qui chez lui doit permettre de mettre l’accent sur l’intensité de cette lumière.

VERBATIM

Le mystère

« Je ne me souviens pas quel était mon premier dessin. Le fait est que j’ai toujours eu des crayons dans les mains. Le frisson de créer quelque chose qui n’a jamais existé auparavant, la nécessité, l’appel, l’urgence de recréer, comme par magie, des fragments d’une réalité extérieure, voici ce qui m’anime. Modestement et au risque d’être mal interprété : peindre est pour moi une tâche divine.
Ce virage créatif vient de ce jour où, d’abord comme un jeu, j’ai dit : ‘Regarde maman ce que j’ai fait!’. Et depuis presque trente ans de manière professionnelle, au fond c’est toujours la même façon de dire : ‘Regarde maman ce que je fais maintenant!’ ».


La lumière :  quand il peint des gens sur la plage, il peut estimer qu’un aplat rouge rendra mieux compte de la chaleur que la couleur du sable, de la mer ou du ciel. De manière générale, peu de bleu et de vert dans sa palette, remplacée par une gamme de tons ocres, terres cuites, qui évoquent autant les terres du sud que la poussière du soleil. Ce sont d’ailleurs les tons qui sous-tendent les toiles : après avoir dessiné son motif au fusain, l’artiste applique un mélange de terre brûlée, d’ocre et de jaune avant d’élargir sa palette. Cette couche de couleur initiale affleure sans cesse à la surface, donnant sa vibration à l’oeuvre. Autre élément qui renforce cette impression de soleil écrasant : très souvent, les ombres sont réduites au maximum. La lumière ne vient pas du contraste avec l’ombre, elle semble au contraire venir d’un soleil au zénith qui ne laisse quasiment pas d’ombre se détacher au sol. La lumière met en valeur autant qu’elle écrase de chaleur les personnages.

Le cadrage : Magi Puig photographie, beaucoup, des corps immobiles, des corps en mouvement, des effets de lumière sur des bâtiments. Et puis il retravaille ses photos sur son ordinateur, pour trouver le bon cadrage, pour se concentrer sur l’essentiel. Et l’essentiel n’est pas forcément le personnage : il lui arrive de centrer sur le sable, en laissant à la marge en haut et en bas les personnages. Ce qui compte, c’est encore une fois cette atmosphère gorgée de soleil et de chaleur dans laquelle évoluent les gens, pas les individus eux-mêmes. De la même manière, quand il s’attarde sur des enfants qui rentrent dans la mer, il peut cadrer de telle manière que la priorité est donnée aux éclaboussures d’eau et non aux corps des enfants, qui peuvent être coupés en haut, ou sur les côtés. Finalement, c’est dans sa science du cadrage plus que dans les éléments représentés que les toiles de Magi Puig sont contemporaines. L’artiste aime les scènes ordinaires, les gens qui l’entourent, ce qu’il voit au quotidien, dans la rue, dans son foyer (il a fait toute une série il y a quelques années sur son nouveau-né), mais il les traite en leur apportant une dose d’intemporalité : un enfant qui joue aujourd’hui ou hier doit dégager le même sentiment de joie hors du temps.

Quelque soit le sujet, Magi Puig travaille à l’huile, en multipliant les couches pour obtenir des effets de glacis : les aplats se chargent d’épaisseur, vibrent à la façon d’un Vuillard ou d’un Bonnard, deux peintres auxquels il aime faire référence. Les sujets sont généralement simples et se donnent tels quels : si le peintre est intéressé par la lumière sur les canaux et maisons vénitiennes, il va s’y concentrer pleinement. Pas la peine de mettre un personnage pour faire vivre la scène, c’est la lumière et le contraste qui lui donnera vie.

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Rencontre publiée en juillet 2017

BIO

Magí Puig est né en 1966 à Palou en Catalogne, dans une famille d’agriculteurs. Il est diplômé des Beaux Arts de Barcelone (1989) et a étudié ensuite à la Winchester School of Arts au Royaume-Uni. Actuellement il vit et travaille en Catalogne espagnole.



 

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