- Publicité -

Albert Woda, Pyrénées-Orientales

Prendre le risque de la lumière

 

Dans son atelier, le peintre Albert Woda part d’une toile noire pour faire peu à peu émerger, par glacis successifs, la lumière. Les sujets restent simples, pris dans le monde qui l’entoure, mais sans leur mise en valeur par la lumière, ils ne seraient rien. Comme un démiurge qui extrait des choses du néant, Albert Woda recherche la clarté qui donnera vie à sa toile.

Bien souvent, la ligne d’horizon est basse, le sujet est simple (un arbre, une montagne, un bord de mer) et le tout est noyé dans une ambiance, qui est à la fois crépusculaire et irréelle.

La toile étant de format imposant, le regard est happé par cette luminosité qui émerge par petites touches de l’ensemble.

Pour comprendre ce travail, peut-être faut-il tout de suite dire que l’artiste a pratiqué longuement la gravure avant d’aborder la peinture. La gravure, la plupart du temps sur de petits formats, un art rigoureux, austère, où tout est dans la nuance entre les noirs de la pénombre et la luminosité apportée par les blancs. Quand il passe à la peinture, les formats changent, mais le principe reste le même : faire émerger, petit à petit, le sujet par la lumière.

Le passage de l’un à l’autre s’est fait de manière un peu fortuite : « Pendant longtemps, je me suis consacré à la gravure, et je faisais une peinture par an. Une et une seule ». Et puis le hasard s’en mêle, à deux reprises : « Une année, j’allais à un salon de gravure, et j’avais la peinture dans la voiture. Je l’ai mise sur le stand. C’était un paysage et je l’ai vendue aussitôt». Il faudra encore un élément pour qu’il accorde plus de place à la peinture : le déménagement et l’arrivée dans un atelier plus grand, près de Céret, dans les Pyrénées catalanes, un atelier qui lui permet de se consacrer à des grands formats, impératif selon lui pour un travail de peintre. « Pour que la couleur déclenche des émotions, il faut quand même qu’elle puisse se déployer ».

A partir de là, l’artiste équilibre son temps entre gravure et peinture. Ses sujets sont simples, (« je n’ai pas beaucoup d’imagination »), et le travail se fait en atelier, souvent de mémoire : des arbres des forêts avoisinantes, des ciels qu’il peut contempler depuis la porte de son atelier, des personnages qui font partie de son entourage.

Et le travail commence, lentement, par succession de glacis qui visent à trouver la lumière la plus juste, à partir d’un fond noir. «Je reprends un peu la technique de la manière noire en gravure, c’est finalement une façon un peu démiurge de procéder ».

Très souvent, ces multiples glacis finissent par faire émerger le sujet. « J’aime définir ma peinture comme océanique, dans le sens romantique du terme : une peinture inspirée par le large, une peinture qui peut donner un sentiment d’infini, de communion avec la nature ».

Ce travail par glacis donne également une dimension spirituelle à ses paysages. « Pour qu’il y ait de la lumière, il faut évidemment qu’il y ait de l’ombre. Dans la Genèse, quand Dieu crée la lumière, il se retire de la création, et c’est ce retrait qui permet à l’humanité d’émerger ».

Les premiers tableaux de l’artiste restaient très sombres, mais avec le temps, Albert Woda  a tendance à éclaircir sa palette. « Cela reste toujours difficile, car mettre beaucoup de lumière, c’est une prise de risque : plus on éclaire, plus on est responsable de ce que l’on montre ».

Evidemment, cette peinture, qui prend pour sujet des choses intemporelles, traitées comme pouvaient le faire d’anciens maîtres semble en complet décalage avec des sujets ou des traitements picturaux de son temps. L’artiste s’en fiche comme d’une guigne.

VERBATIM

« Albert Woda se fait dans les Pyrénées et ailleurs le confident discret des arbres, des forêts, des grands paysages nus, des solitudes humaines qui les traversent, souvent accablées. Il reprend de la sorte, sous les grands ciels d’orage et leurs nuages tourmentés et fluides, la leçon des merveilleux Hollandais du XVIIè, celle en particulier de Ruysdael et d’Hobbema que j’aime tant. Rien de servile dans son attachement à la dictée de ces maîtres, mais un compagnonnage, un partage. Les signes de nos civilisations se métamorphosent, évoluent, disparaissent, sont remplacés par d’autres, souvent plus agressifs dans leur modernité toute relative : le cœur de l’homme ne change pas ni son regard sur les arbres, les prés, les saisons, qui, eux aussi, difficilement mais calmement, sereinement, se maintiennent ».

Salah Stétié

Mais si certaines références semblent évidentes, notamment du côté des grands maîtres de la peinture flamande, ou encore de Turner, de Corot, d’autres permettent de poser un nouveau regard sur son travail.
Car chez Albert Woda, le sujet existe, mais n’est guère qu’un prétexte. Le point de départ est bien un arbre, une montagne, un ciel, mais l’artiste se concentre ensuite sur l’équilibre de sa toile, sans aucun souci de coller à son sujet tel qu’il existe à l’extérieur. Désormais, ce motif vit sa propre vie sur la toile : « Il n’y a pas de logique lumineuse réaliste. Si j’ai envie de mettre trois soleils, j’en mets trois ! Je me sers en fait de la lumière comme d’une forme, de quelque chose qui va donner du modelé aux touches de couleurs. Le paysage, l’arbre, la montagne, tout cela n’est qu’un prétexte ».

Et puis un autre élément le distingue clairement de la plupart des paysagistes : contrairement à ses illustres prédécesseurs et à la plupart des paysagistes, Albert Woda a une prédilection pour le format carré (1,50 x 1,50 mètres, la plupart du temps), et ses toiles sont bien souvent composées de deux éléments qui se complètent de manière horizontale.
Certes, il y a un sujet, mais le format, la composition, la vibration des couleurs rappellent finalement un artiste à mille lieux des paysagistes flamands : le peintre abstrait américain Mark Rothko.

« Sans doute en raison de mon passé familial, de ma famille qui a vécu l’émigration de nombreux Juifs polonais, j’ai besoin d’un ancrage dans le réel, ce qui se traduit par la présence d’un élément figuratif dans mes œuvres, mais finalement, cela n’est vraiment pas l’essentiel ».

De temps à autre, en cherchant bien, un petit personnage vient humaniser un peu ces paysages irréels. Sans que cela devienne systématique, sans que cela saute aux yeux. Prochainement, il se peut que ce nouveau sujet prenne plus de place.  « Aujourd’hui, je crois que je vais m’éloigner un peu de ces lointains. J’ai besoin de choses plus tangibles. Je pense que je vais me rapprocher de la présence humaine, des personnages ».

Comme dans la Genèse, après l’ombre, après la terre, la mer, les végétaux, la présence humaine.

AD

Rencontre parue en mars 2017

Site internet de l’artiste

Bio

Albert Woda est né à Nice et y a grandi, à une époque où la ville comptait un foyer artistique important. Son grand-père, juif polonais communiste, connaissait Picasso pour des raisons politiques, le peintre donnant tous les ans des dessins au Patriote, le journal communiste local.
Albert Woda a fréquenté les écoles d’art de la ville et y a appris la gravure et le dessin, en parallèle de ses années de collège et lycée, études qu’il complète plus tard à la Villa Arson.
Par respect pour ses parents qui souhaitaient le voir acquérir un métier solide, il finit des études d’ingénieur et travaillera quelques années en tant que physicien dans un laboratoire de recherche.
Puis il renoue avec sa passion et devient professeur de dessin. « Ensuite, tout mon parcours est basé sur les rencontres, avec des libraires, des éditeurs, et des poètes comme André Chouraqui, Jacques Lacarrière, Salah Stétié. Ces gens-là m’ont accepté comme illustrateur et m’ont renvoyé une image de moi que je ne connaissais pas ».

En préparation

– un ouvrage pour la société Les Pharmaciens bibliophiles. Poèmes de Lionel Ray, sur le thème de la musique. Sept manières noires d’Albert Woda. Parution prévue fin 2017 ou début 2018.

– Une gravure pour la Galerie Anaphora à Paris, pour un prochain portfolio.

– Dessins pour un livre de la collection « Erotica » des éditions Al Manar, « Divin danger » de Valéry Meynadier.

– Une fresque en céramique azurelos, dans l’atelier de Bernard Terreaux.

– Et divers expérimentations à galerie Profils à Collioure.

Expositions

– Exposition de peintures à Tarbes, musée « Le Carmel ».

– Exposition Galerie Arthus à Bruxelles.

– Peintures présentées au Japon (Tokyo et Kobé) courant 2017.

Crédits photo :

Marc Gourmelon pour les peintures et gravures.

Jacqueline Woda pour le portrait.

- Publicité -
Article précédentJérôme Delormas nommé directeur général de l’isdaT, l’Institut supérieur des arts de Toulouse
Article suivantPhilippe Gauberti